Lettre au sujet des modifications possibles à la Loi sur le droit d’auteur
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Le 18 janvier 2008
La commissaire à la protection de la vie privée du Canada, Jennifer Stoddart, a envoyé la lettre suivante à l'honorable Jim Prentice, ministre de l’Industrie et à l'honorable Josée Verner, ministre du Patrimoine canadien, au sujet des modifications possibles à la Loi sur le droit d’auteur.
L’honorable Jim Prentice
Ministre de l’Industrie
235, rue Queen, 5e étage
Ottawa (Ontario)
K1A 0H5
L’honorable Josée Verner
Ministre du Patrimoine canadien
25, rue Eddy
Gatineau (Québec)
K1A 0M5
Monsieur le Ministre,
Madame la Ministre,
Je vous écris au sujet des modifications possibles à la Loi sur le droit d’auteur. Bien que je n’aie pas d’intérêt envers le droit d’auteur en soi, et que je comprenne bien le besoin de mettre à jour la Loi sur le droit d’auteur,je suis préoccupée à l’idée que des modifications possibles à la Loi autoriseraient l’utilisation de mécanismes techniques de prévention de l’atteinte au droit d’auteur susceptibles d’avoir une incidence négative sur le droit à la protection de la vie privée des Canadiennes et des Canadiens.
Comme vous le savez, le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada est responsable de surveiller le respect de deux lois, soit la Loi sur la protection des renseignements personnels et la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (LPRPDE). Mon inquiétude relève particulièrement de ma responsabilité envers la LPRPDE; selon cette loi, les organisations exerçant des activités commerciales peuvent recueillir, utiliser ou communiquer des renseignements personnels seulement « à des fins qu’une personne raisonnable estimerait acceptables dans les circonstances » et seulement les renseignements personnels nécessaires à cet égard. Sauf dans des situations précises, des renseignements personnels ne peuvent pas être recueillis, utilisés ou communiqués à l’insu des personnes auxquelles ces renseignements se rapportent et sans leur consentement.
La protection de la vie privée des Canadiennes et des Canadiens serait compromise si des modifications à la Loi sur le droit d’auteur autorisaient l’utilisation de mécanismes techniques de protection des objets visés par le droit d’auteur, lesquels auraient comme effet de recueillir, utiliser et communiquer des renseignements personnels sans le consentement des personnes intéressées.
De plus en plus, les Canadiennes et les Canadiens utilisent les nouvelles technologies de l’information et de la communication pour avoir accès à des informations, des films, de la musique et d’autre contenu. Bien que les nouvelles technologies aient élargi l’accès individuel à du contenu protégé par un droit d’auteur, elles donnent également aux titulaires de droits d’auteur un moyen de contrôler l’utilisation ou la reproduction de ce contenu et d’en contrôler les usages autorisés.
Des mesures techniques de protection peuvent être intégrées à divers médias afin d’en contrôler la copie et de prévenir la violation du droit d’auteur, ou elles peuvent être intégrées à des appareils électroniques afin de prévenir la lecture de contenu non autorisé. La gestion des droits numériques (GDN) fait généralement référence aux diverses technologies utilisées pour faire respecter les limites préétablies de l’utilisation de contenu numérique. Ces technologies englobent tout moyen par lequel des diffuseurs ou des fabricants contrôlent l’utilisation de données ou d’équipements. Le Commissariat a conçu un feuillet d’information sur les technologies de GDN; vous en trouverez ci-joint un exemplaire à titre informatif.
Si les technologies de GDN se limitaient au contrôle de la copie et à l’utilisation du contenu, le Commissariat ne serait pas préoccupé outre mesure. Toutefois, les technologies de GDN peuvent également recueillir des renseignements personnels détaillés au sujet des utilisateurs qui, bien souvent, ne font qu’accéder au contenu à l’aide d’un ordinateur. Ces renseignements sont communiqués au titulaire du droit d’auteur ou au fournisseur de contenu, à l’insu de l’utilisateur et sans son consentement. Bien qu’il existe des moyens de contourner ces technologies et, par conséquent, de prévenir la cueillette de renseignements personnels, les propositions de modification de la Loi sur le droit d’auteur antérieures comprenaient des mesures visant à interdire le contournement.
Les technologies qui font rapport à une entreprise sur l’utilisation d’un produit en disent long au sujet des goûts et des préférences des personnes. En effet, ces données peuvent être extrêmement personnelles. Les technologies qui recueillent automatiquement des renseignements personnels à l’insu des personnes et sans leur consentement vont à l’encontre des principes relatifs à l’équité dans le traitement de l’information, qui sont au cœur de la LPRPDEet de la plupart des autres lois sur la protection de la vie privée. Le fait que cela se produise alors que les personnes prennent part à des activités privées à la maison ou en d’autres endroits où ils s’attendent à ce que leur droit à la vie privée soit respecté ne fait qu’exacerber le caractère envahissant de cette cueillette.
Pour ne citer qu’un seul cas bien connu, en 2005, une vive controverse a été déclenchée au sujet de l’Extended Copy Protection (XCP) de Sony-BMG, un outil de GDN destiné à prévenir la copie non autorisée. Les produits Sony-BMG comprenaient
un mécanisme de protection de la copie particulier destiné à la musique en format numérique, soit un logiciel qui s’installait en arrière-plan sur l’ordinateur de l’utilisateur. Lorsqu’un CD protégé contre la copie était joué sur un ordinateur branché à Internet, Sony-BMG pouvait recevoir un rapport sur le moment où l’on avait fait jouer le CD, l’adresse IP où ce dernier se trouvait, et si l’on avait tenté de le copier et à combien de reprises. Des recours collectifs ont été exercés au Canada et aux États-Unis, alléguant des atteintes aux lois sur la protection de la vie privée, des ruptures de contrat et des réclamations en responsabilité civile. Plus tôt ce mois-ci, Sony-BMG annonçait qu’elle renoncerait complètement aux mécanismes de GDN, à l’instar de toutes les autres grandes étiquettes. Nous espérons que toute nouvelle mesure législative présentement sous examen tiendra compte de ces cas et de ces nouveaux développements.
J’aimerais également commenter les propositions antérieures visant à ajouter un dispositif d’«avis et avis» à la loi canadienne sur le droit d’auteur. De telles mesures auraient permis aux titulaires de droit d’auteur d’envoyer des avis par écrit aux fournisseurs d’accès Internet, les informant de la présence de présumés contrevenants au droit d’auteur sur leurs réseaux. Les exploitants de réseaux auraient alors eu à faire suivre l’avis au présumé contrevenant et à conserver un dossier sur l’utilisation du réseau pour une période pouvant aller jusqu’à un an, le temps de mener une enquête au sujet de la violation ou de porter la cause devant un tribunal. À défaut de conserver ces dossiers, les fournisseurs d’accès Internet auraient pu faire l’objet de réclamations en dommages et intérêts pouvant aller jusqu’à 10 000 $ de la part des titulaires de droit d’auteur.
Permettre à un organisme du secteur privé de contraindre un fournisseur d’accès Internet à conserver des renseignements personnels établirait un précédent qui porterait une atteinte sérieuse à la protection de la vie privée. Lorsque cette mesure a été soulevée dans le cadre de propositions antérieures de modifications à la loi, elle ne comprenait pas de seuil devant être atteint avant qu’un avis ne soit émis ni de mécanisme de recours de la part du fournisseur d’accès Internet contre l’obligation de conserver des données. Les longues périodes de conservation des données soulèvent davantage de préoccupations au sujet de la protection de la vie privée. Selon la LPRPDE, les organismes ne conservent de renseignements personnels que le temps nécessaire aux fins auxquelles ces renseignements ont été recueillis au départ. Établir des limites à la portée de la cueillette de renseignements et à la période de conservation est une stratégie essentielle à la réduction du risque d’atteinte à la protection des données personnelles.
En résumé, nous espérons que toute nouvelle mesure proposée sur le droit d’auteur respectera le droit des Canadiennes et Canadiens à la vie privée. J’espère que ces commentaires vous seront utiles pour la suite de vos travaux. N’hésitez pas à communiquer avec moi si le Commissariat peut vous appuyer de quelque façon que ce soit.
Veuillez recevoir, Monsieur le Ministre, Madame le Ministre, l’expression de ma très haute considération.
La commissaire à la protection de la vie privée du Canada
Original signé par
Jennifer Stoddart
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