Sélection de la langue

Recherche

Position de la commissaire à la protection de la vie privée du Canada à la clôture des audiences sur l’Examen, prévu par la loi, de la LPRPDE

Cette page Web a été archivée dans le Web

L’information dont il est indiqué qu’elle est archivée est fournie à des fins de référence, de recherche ou de tenue de documents. Elle n’est pas assujettie aux normes Web du gouvernement du Canada et elle n’a pas été modifiée ou mise à jour depuis son archivage. Pour obtenir cette information dans un autre format, veuillez communiquer avec nous.

Annexe III

Information sur le « Produit du travail »


Introduction

La commissaire à la protection de la vie privée du Canada s’est présentée devant le Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique (« Comité permanent ») en novembre 2006Footnote 1 afin de parler des changements possibles à apporter à la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (LPRPDE). À cette occasion, la commissaire a recommandé de ne pas exclure l’information sur le « produit du travail » de la définition des renseignements personnels de la LPRPDE. Le fait d’exclure le produit du travail signifierait que les protections accordées aux renseignements personnels dans la LPRPDE ne s’appliqueraient pas à ce genre de renseignements.

Le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada (CPVP) a abordé la question du « produit du travail » dans un document de travail publié plus tôt en 2006 et, en réponse, il a reçu plusieurs présentations de personnes et d’organismes. Un résumé des présentations a été fourni au Comité permanentFootnote 2. Il a fait ressortir la divergence de points de vue concernant le bien-fondé de l’exclusion de l’information sur le produit du travail de la définition des renseignements personnels.

Le Comité permanent a demandé au CPVP d’examiner plus en profondeur la question du produit du travail. Le CPVP s’est exécuté et arrive encore une fois à la conclusion que le produit du travail ne doit pas être exclu de la définition des renseignements personnels dans la LPRPDE. Le CPVP a adopté cette position pour deux raisons importantes :  

  • L’exclusion n’est pas nécessaire et elle irait à l’encontre de l’approche équilibrée adoptée dans la définition actuelle des renseignements personnels. La définition actuelle des renseignements personnels et l’approche retenue pour trancher les questions en s’appuyant sur cette définition ont donné de bons résultats. Elles ont favorisé un niveau de protection des renseignements personnels qui concilie le droit au respect de la vie privée en matière de renseignements personnels et le besoin qu’ont les organisations de recueillir, d’utiliser et de communiquer des renseignements personnels de façon raisonnable et appropriée. Au cours des cinq années de mise en application de la LPRPDE, l’approche actuelle à l’égard du produit du travail n’a suscité aucun problème important.
  • Comme le concept de « produit du travail » est ambigu, son exclusion de la définition des renseignements personnels aurait des conséquences imprévisibles qui pourraient diminuer inutilement le droit à la protection de la vie privée.

Le CPVP arrive donc à la conclusion qu’il serait imprudent d’introduire une exemption, surtout sans obtenir auparavant les commentaires des nombreux secteurs qui peuvent être touchés par cette dernière.

Section 1 : L'exclusion du « produit du travail » est inutile et va à l’encontre de l’approche équilibrée adoptée dans l’actuelle définition des « renseignements personnels »

a) La définition actuelle repose sur des précédents et des consensus canadiens et internationaux connus

La LPRPDE définit les renseignements personnels qu’elle protège comme étant des renseignements « sur un individu identifiable ». Cette définition a été retenue parce qu’elle possédait un historique connu et stable dans le droit et la jurisprudence du Canada. Elle correspond aussi aux définitions que l’on trouve dans d’autres pays, en particulier ceux d’Europe, qui s’intéressaient aussi à la protection des renseignements personnels dans le secteur privé dans un environnement technologique en évolution rapide. En ébauchant la définition des renseignements personnels dans la LPRPDE, on visait à réaliser un objectif important : s’assurer que le droit canadien était en harmonie avec le droit européen. On éliminerait ainsi les entraves au commerce fondées sur des régimes différents de protection des données.

La définition des renseignements personnels que contient la LPRPDE est intentionnellement large et elle témoigne de la volonté de protéger le droit au respect de la vie privée des personnes dans tous les contextes. L’introduction d’une exemption liée au produit du travail signifierait que le Canada adopterait une position différente de celle prise dans d’autres pays, en particulier dans les pays d’Europe.

Le CPVP ne s’est pas penché sur la question de savoir si un changement apporté à la définition des renseignements personnels dans la LPRPDE aurait une incidence sur la perception selon laquelle la Loi est suffisamment en harmonie avec le droit européen. Toutefois, il convient de souligner que, au cours d’une récente étude de la Directive sur la protection des données de l’Union européenne, on a demandé à la Commission européenne d’ajouter une exemption concernant le « produit du travail » à la définition des renseignements personnels de la DirectiveFootnote 3. En général, la Commission européenne a conseillé de ne pas modifier la Directive. En outre, dans son rapport, elle n’a pas dit que la définition des renseignements personnels posait un problème. Le rapport semble avoir fait fi de la proposition visant à exclure le produit du travail de la définition des renseignements personnelsFootnote 4.

b) La définition actuelle répond bien aux objectifs de la LPRPDE

La LPRPDE vise à concilier le droit à la protection de la vie privée et les besoins raisonnables des organisations en matière de collecte, d’utilisation et de communication des renseignements personnels. L’atteinte de ce but dans la loi a constitué une réussite importante, compte tenu de la gamme de parties intéressées. La définition actuelle des renseignements personnels a bien répondu aux objectifs de la LPRPDE. Au cours des cinq premières années de la mise en application de la LPRPDE, très peu de cas ont soulevé de problème quant à la portée de la définition. Cela semble indiquer que le Parlement a réalisé un juste équilibre dans sa première définition des renseignements personnels.

c) La définition actuelle a permis au CPVP d’élaborer une approche adaptée et équilibrée dans son processus décisionnel

Les quelques cas qui ont pris en compte la portée des « renseignements personnels » ont aussi permis d’examiner les renseignements qui sont protégés par la LPRPDE et, plus particulièrement, le moment où il convient de soutenir que des renseignements ne concernent pas une personne identifiable et ne sont donc pas protégés par la Loi. Un examen de ces conclusions montre que le CPVP est arrivé à une approche équilibrée qui permet d’adapter le processus décisionnel au contexte.

La première conclusion du CPVP qui limitait la portée de la définition des renseignements personnels, et la seule conclusion portant sur l’utilisation de l’expression « produit du travail », établissait qu’une ordonnance médicale ne constituait pas les renseignements personnels d’un médecinFootnote 5.  Dans cette affaire, l’argument était le suivant : l’ordonnance était le résultat concret de l’activité professionnelle du médecin et, par conséquent, ne constituait pas des renseignements personnels. Toutefois, dans des conclusions subséquentes, l’approche du CPVP a évolué et ne s’est plus limitée à une distinction rigide entre les renseignements personnels produits dans un contexte de travail ou d’affaires et d’autres types de renseignements personnels. Par conséquent, le CPVP a pu tenir compte non seulement du contexte étroit de la production des renseignements, mais aussi du contexte plus large et plus important de leur collecte, de leur utilisation et de leur communication.

Par exemple, le commissaire a conclu que le rendement d’une télévendeuse pouvait être dévoilé aux autres membres de l’équipe de télémarketing. Dans un contexte de vente fondée sur des mesures d’encouragement, le consentement d’un télévendeur aux pratiques de l’industrie est implicite en raison de sa participation au contexte de venteFootnote 6.  Toutefois, la décision a permis d’établir clairement que les relevés des ventes demeuraient tout de même des renseignements personnels et que l’application de la LPRPDE ne tolérerait pas des utilisations « discriminatoires, imprécises, inutiles, incompatibles ou autrement dit abusives » des renseignements. Cet argument est encore mieux expliqué dans un deuxième cas concernant des relevés des ventes, cette fois à propos des ventes d’agents immobiliersFootnote 7. La commissaire a de nouveau conclu que les relevés des ventes étaient des renseignements personnels et qu’ils pouvaient être utilisés seulement aux fins raisonnablement prévues par les participants dans le système dans lequel on saisit l’information. Ces objectifs n’incluent pas l’extraction de renseignements personnels par des tiers à des fins de comparaison et de publicité.

Dans les deux cas, le fait que des renseignements concernant une personne identifiable étaient produits dans un contexte de travail ou d’affaires n’a pas à lui seul déterminé les résultats. Au contraire, le caractère raisonnable de la collecte, de l’utilisation et de la communication de renseignements personnels a été évalué à la lumière d’éléments contextuels pertinents, notamment les besoins de l’organisation et les normes pertinentes de l’industrie.

On peut qualifier cette approche d’« approche de contexte global » quand il s’agit d’examiner les conséquences sur la vie privée de pratiques particulières en matière d’informationFootnote 8.  La caractéristique importante de cette approche tient au fait qu’elle repose sur la façon dont les renseignements sont utilisés (« contexte global »), et non sur le lieu où ils sont produits (une approche du  « produit du travail »). Le CPVP conserve le droit de surveiller les pratiques en matière d’information en général sans devoir exclure complètement certains types de renseignements de la protection de la vie privée. La principale vertu de l’approche actuelle est qu’elle permet au CPVP d’examiner au cas par cas les conséquences sur la protection des renseignements personnels qu’ont certaines pratiques en matière d’information et de prodiguer des conseils en conséquence.

Dans l’élaboration d’une approche de contexte global, le CPVP a été conscient du droit au respect de la vie privée et des besoins des organisations de demeurer concurrentielles. Pour ce faire, les organisations doivent parfois recueillir et utiliser les renseignements personnels des employés. Afin de concilier les intérêts concurrentiels et le droit à la protection de la vie privée, le CPVP prend en compte plusieurs questions : est-il nécessaire de recueillir et d’utiliser les renseignements personnels des employés pour répondre à un besoin particulier? Ces mesures permettront-elles vraisemblablement de répondre à ce besoin? La perte de protection de la vie privée est-elle proportionnelle à l’avantage obtenu? Y a-t-il moyen d’obtenir le même résultat en empiétant moins sur la vie privéeFootnote 9? Cette approche permet aux organisations de mettre en œuvre des moyens techniques afin de demeurer concurrentielles tout en s’assurant que le droit à la vie privée des employés est reconnu et bien protégé.

Un avantage important de l’approche de contexte global a été de permettre au CPVP de continuer à superviser les activités de surveillance des employeurs à un moment où l’on s’inquiétait de l’érosion du droit au respect de la vie privée des employés. L’approche de contexte global du CPVP signifie aussi que ce dernier a conservé le droit d’évaluer la mise en place de nouvelles technologies qui pourraient être très envahissantes si elles ne sont pas utilisées de façon contrôlée, par exemple, la biométrie, les systèmes mondiaux de localisation et l’identification par radiofréquence.

En somme, le CPVP a réalisé un équilibre délicat entre les pouvoirs et les droits, conformément à l’équilibre atteint dans la LPRPDE elle-même. L’introduction d’une exclusion du produit du travail dans la définition des renseignements personnels bouleverserait cet équilibre.

d) L’exemption ne réglerait aucun problème sur le plan des politiques générales

Certaines organisations s’intéressent à la valeur commerciale de l’information sur le produit du travail. Elles peuvent vouloir vendre cette information. Toutefois, il n’est pas conseillé de satisfaire à ce genre d’intérêts commerciaux au détriment possible du droit à la protection des renseignements personnels dans le secteur privé. C’est particulièrement le cas quand le changement aurait une incidence importante sur une question stratégique — la façon de traiter le produit du travail — qui est fortement contestée au Canada et ailleurs.

Au Canada, les règlements varient quant à savoir si les renseignements identifiant ceux qui délivrent des ordonnances de médicaments (« médecins prescripteurs ») peuvent être communiqués à des fins commercialesFootnote 10. Introduire une exclusion concernant le produit du travail dans la LPRPDE peut avoir une incidence directe sur l’accès à des renseignements qui identifient les médecins prescripteurs dans certaines provinces ou peut indirectement transmettre un message qui favorise l’accès à ces renseignements.

En Colombie-Britannique, il est interdit de communiquer des renseignements identifiant les médecins prescripteurs à des fins commercialesFootnote 11.  Le commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Alberta a aussi trouvé que cette pratique était contraire à la Health Information Act de l’AlbertaFootnote 12. L’ordonnance du commissaire de l’Alberta a été portée en appel et est actuellement en attente d’une révision judiciaire. D’autres provinces canadiennes ont aussi imposé des limites à l’accès et à l’utilisation de renseignements qui identifient les médecins prescripteurs. La loi québécoise sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé impose des limites à la communication de renseignements concernant les professionnels. Ces restrictions comprennent le besoin d’obtenir l’autorisation du commissaire du Québec (après consultation avec l’organisme de réglementation concerné), la connaissance de la part du professionnel de l’objectif de la collecte et la capacité du professionnel de refuser de permettre que ses renseignements soient utilisés aux fins mentionnéesFootnote 13.

Comme les membres du Comité permanent ont pu l’entendre, les associations de médecins sont très opposées à la communication de renseignements permettant d’identifier les médecins prescripteurs. Par exemple, la politique de l’Association médicale canadienne insiste sur le fait que, en général, il faut que le médecin soit prévenu et accorde son consentement avant que des renseignements liés aux ordonnances ne soient vendusFootnote 14.  Dans le mémoire qu’elle a présenté au Comité permanent, l’Association a rappelé sa position et voulu s’assurer que les renseignements sur le médecin prescripteur sont inclus dans la définition des renseignements personnels de la LPRPDE et qu’ils ne perdent pas la protection de la Loi en étant définis comme un « produit du travail »Footnote 15.  Une des craintes importantes suscitées par la pratique qui consiste à vendre des renseignements concernant les ordonnances des médecins réside dans la possibilité que les entreprises pharmaceutiques exercent une influence indue sur les pratiques de prescription des médecinsFootnote 16.

Le produit du travail est aussi une question litigieuse dans d’autres pays. Tel qu’il a été mentionné précédemment, on a demandé à la Commission européenne de créer une exemption pour le produit du travail, mais celle-ci a refusé de le faire. La question de l’accès aux renseignements qui identifient les médecins prescripteurs a été récemment soulevée aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Australie. 

Aux États-Unis, la vente de renseignements qui identifient les médecins prescripteurs est une préoccupation de plus en plus grande. L’American Medical Association a été critiquée pour avoir divulgué des renseignements sur des médecins, et une loiFootnote 17 a été présentée au New Hampshire afin d’empêcher la vente de renseignements identifiant les médecins prescripteursFootnote 18 (cette loi fait actuellement l’objet d’une contestation pour des motifs constitutionnels). On songe à adopter des lois similaires dans d’autres ÉtatsFootnote 19.

Au Royaume-Uni, on ne peut pas vendre de renseignements qui identifient les médecins prescripteurs. Toutefois, une compagnie a utilisé la loi sur l’accès à l’information pour tenter d’obtenir les dossiers de médecins prescripteurs. La demande a été accueillie en Écosse, mais rejetée en Angleterre, et cela a mené la British Medical Association à exiger un examen des lois sur l’accès à l’informationFootnote 20

En Australie, il est interdit d’avoir accès à des renseignements qui identifient les médecins prescripteurs. De plus, l’Australian Medical Association a soulevé des craintes même au sujet de la publication de renseignements dépersonnalisés sur les médicaments prescrits aux patients à des fins commercialesFootnote 21.

L’examen de la LPRPDE par le Comité n’est pas le forum approprié en matière de politiques pour décider si les renseignements sur les médecins prescripteurs ou les renseignements dépersonnalisés sur les patients doivent être vendus à des fins commerciales ou utilisés par les sociétés pharmaceutiques. Ce débat soulève des questions stratégiques complexes qui exigent un examen plus approfondi que celui que le Comité peut raisonnablement espérer effectuer au cours de l’étude actuelle de la LPRPDE. À tout le moins, le fait de déterminer s’il faut modifier la définition établie des renseignements personnels – le pivot de la LPRPDE – exige la participation des experts, des organismes responsables des dépenses en matière de santé et de médicaments ainsi que des groupes d’intérêt représentant les employés et le public.

Section 2 : Le concept de « produit du travail » est ambigu

a) Ambiguïté : il y a peu de précédents dans le contexte de la protection des renseignements personnels dans le secteur privé

Comme on l’a déjà mentionné, la LPRPDE, comme d’autres lois sur la protection des renseignement personnels, contient une définition des renseignements personnels qui est volontairement large et elle compte de nombreux précédents au Canada et dans d’autres pays qui permettent de guider son interprétation. Les renseignements qui portent « sur » une personne identifiable sont protégés, qu’ils aient été produits ou créés ou non par la personne dans le contexte du travail.

À l’opposé, le « produit du travail » n’est pas un concept bien compris ni bien défini dans le contexte de la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, et il y a très peu de précédents qui permettent de guider son interprétation. Il semble que seule la Colombie-Britannique a officiellement introduit l’exemption relative au  « produit du travail » — dans ce cas, dans sa Personal Information Protection Act (PIPA)Footnote 22. Il reste à soumettre la portée de cette exemption à l’épreuve. Toutefois, elle est peut-être grande et pourrait supprimer la protection des renseignements personnels pour un nombre considérable de renseignements, quelle que soit la façon dont les renseignements ont été recueillis, utilisés ou communiqués.

L’exemption de la Colombie-Britannique s’applique aux renseignements préparés ou recueillis par une personne ou par un groupe de personnes dans le cadre de responsabilités ou d’activités individuelles ou collectives liées à un emploi ou à une entreprise individuelle ou collective. Cette définition s’applique aux renseignements recueillis ou préparés par des employés dans le cadre de leur travail. Elle s’étend aussi aux renseignements recueillis ou préparés par quiconque dans le cadre des affaires, ce qui comprend les professionnels, les entrepreneurs, les entrepreneurs indépendants et les propriétaires d’entreprise. La loi de la Colombie-Britannique ne définit pas le mot « affaires »; il est donc difficile de cerner la portée exacte de l’exemption.

En Colombie-Britannique, la seule ordonnanceFootnote 23 qui a pris en compte l’exemption relative au produit du travail montre qu’on n’est pas certain de la signification de l’exemption. Elle montre aussi que le commissaire de la province n’est pas tout à fait certain de la justesse de sa propre interprétation :

[Traduction]
Ces documents et d’autres documents indiquent que ces discussions ne concernaient pas les activités de l’organisation ou de possibles nouveaux produits commerciaux de l’organisation. Les renseignements ne concernent pas non plus seulement les concepts d’affaires des plaignants et d’autres personnes. Il s’agit de renseignements qu’ils ont préparés ou recueillis dans le cadre de leurs responsabilités ou activités liées à une entreprise qui leur appartient. Dans les circonstances entourant ce cas, même si on peut dire que ces renseignements portent « sur une personne identifiable », je suis convaincu qu’ils sont exclus de la définition des « renseignements personnels ».

La définition de l’« information sur le produit du travail » de la PIPA n’est pas, je le signale, limitée à des renseignements préparés ou recueillis dans le cadre de responsabilités ou d’activités liées à une relation de travail ou d’affaires avec l’organisation en question. [?]

Au cas où mon interprétation de l’« information sur le produit du travail » est fausse, j’analyserai aussi l’application de la PIPA à l’information concernant les activités commerciales des plaignants et d’autres personnes en émettant l’hypothèse, aux fins de discussion, qu’il s’agit de leurs renseignements personnelsFootnote 24.

Le fait que le commissaire de la Colombie-Britannique arrive difficilement à déterminer l’interprétation de l’information sur le produit du travail contenue dans la PIPA de la Colombie-Britannique porte à croire que la signification de l’exemption concernant le produit du travail de la Colombie-Britannique est ambiguë et qu’il faudra attendre un certain temps avant que sa portée se précise. Cela montre aussi qu’il est difficile d’évaluer ou de prévoir toutes les conséquences découlant de la création d’une exemption liée au produit du travail dans la définition des renseignements personnels.  

La loi de la Colombie-Britannique montre aussi que, si une exemption liée au produit du travail est incluse dans la définition des renseignements personnels, d’autres articles doivent aussi être modifiés. Par exemple, la PIPA de la province prévoit des dispositions spéciales concernant les renseignements personnels des employés et des bénévoles, lesquels continuent d’être inclus dans la définition de renseignements personnels. Toutefois, l’information qui continue d’être considérée comme des renseignements personnels se limite à l’information nécessaire pour établir et administrer la relation et y mettre fin. Il reste à voir si cette disposition suffira pour permettre de superviser la surveillance sur le lieu de travail.

La PIPA de la Colombie-Britannique ne contient manifestement pas de protection semblable pour ceux qui peuvent s’être engagés à fournir des services professionnels ou contractuels à une organisation. Cela signifie-t-il que tout renseignement personnel recueilli, utilisé ou communiqué aux fins d’établir et de gérer ce genre de relation ou d’y mettre fin ne fait l’objet d’aucune protection? De cette façon, la PIPA de la Colombie-Britannique peut, sans toutefois que ce soit intentionnel, accorder aux organisations des droits plus importants de commettre des intrusions au moment de traiter les renseignements personnels de professionnels et d’entrepreneurs que ce serait le cas avec des employés.

Enfin, comme on l’a dit précédemment, la communication de renseignements identifiant les médecins, qui est un élément central de la discussion concernant le produit du travail, est interdite en Colombie-Britannique. Résultat : l’exemption concernant le produit du travail dans la PIPA de la Colombie-Britannique n’aurait aucune conséquence directe sur la collecte de renseignements identifiant les médecins prescripteurs.  

b) Les précédents du secteur public ne sont pas pertinents pour le secteur privé

Même si l’expression « produit du travail » est utilisée dans le contexte du secteur public, les précédents n’ont aucune pertinence pour ce qui est de la discussion sur le produit du travail et la protection des renseignements personnels dans le secteur privé. Dans le secteur public, l’information sur le « produit du travail » peut être communiquée dans le cadre d’une demande générale d’accès à l’information du gouvernement, mais les renseignements (personnels) concernant les employés du gouvernement ne peuvent pas l’être. Cette justification n’est pas pertinente en ce qui concerne la discussion sur le produit du travail dans le cadre de la LPRPDE. Contrairement à la loi sur l’accès à l’information dans le secteur public, il n’existe aucun droit général à l’accès par le public à des renseignements détenus par des organisations du secteur privé. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de distinguer les renseignements qui doivent être diffusés comme « produit du travail » des renseignements qui ne doivent pas être diffusés parce que cela concerne l’intérêt de la vie privée d’un employé. En vertu de la LPRPDE, ce n’est pas la valeur de l’accès qui entre en concurrence avec la valeur de la protection des renseignements personnels. Au contraire, l’intérêt qui entre en concurrence avec la protection des renseignements personnels, ce sont les besoins de l’organisationFootnote 25. Cela est conforme aux objectifs déclarés de la LPRPDE et offre la souplesse nécessaire pour tenir compte des besoins des organisations et des intérêts en matière de protection de la vie privée au cas par cas.

Quoi qu’il en soit, les mesures de protection des renseignements personnels régissant l’accès à l’information dans le secteur public et les régimes de protection des renseignements personnels contiennent habituellement des dispositions assez générales pour permettre de déterminer quels renseignements comptent pour de l’information sur le produit du travail publiable et ceux qui n’entrent pas dans cette catégorieFootnote 26. Cela montre que, dans le secteur public, les parlements ont trouvé nécessaire d’étudier certains détails pour distinguer deux types de renseignements sur les employés. Même dans ce cas, les tribunaux et les commissaires ont été obligés de décider des paramètres de ces dispositions législativesFootnote 27.

Malheureusement, on néglige souvent la différence de contexte de la discussion sur le   « produit du travail » dans les secteurs public et privé ainsi que les diverses approches en matière d’interprétation adoptées dans les deux secteurs. Parfois, le raisonnement appliqué dans la jurisprudence établie dans le secteur public est présenté comme s’il devait s’appliquer automatiquement au secteur privé. Cela n’est évidemment pas le cas. Toutefois, ce genre de raisonnement mène à une plus grande confusion au sujet des conséquences qu’entraîne l’introduction d’une exemption liée au produit du travail dans la LPRPDE. 

c) Déstabilisation et conséquences non intentionnelles dans d’autres domaines du droit

Même si le projet d’exemption du produit du travail ne vise pas à établir des droits et des obligations au-delà du contexte des renseignements personnels, cela aura inévitablement des conséquences dépassant la protection de tels renseignements. Les droits respectifs de propriété et de contrôle de l’information produite dans un environnement de travail sont complexes, mais généralement établis. L’insertion d’une exemption relative au produit du travail dans la loi sur la protection des renseignements personnels pourrait avoir une incidence sur l’ordre établi. Cela est particulièrement vrai parce que, comme l’a fait remarquer un auteur, dans le passage du Canada d’une économie fondée sur la fabrication à une économie de haute technologie, il y a eu un changement correspondant dans les types d’actifs que les compagnies inscrivent dans leur bilanFootnote 28. À une époque, il comprenait 80 % de biens immobiliers et 20 % de propriété intellectuelle. Aujourd’hui, c’est probablement l’inverse. La propriété intellectuelle produite dans le contexte du travail croît en valeur relative, et il est de plus en plus probable qu’elle sera l’objet de contestations judiciaires concernant les droits, la propriété et les contrôles.

Même s’il est clair que les employés ne peuvent généralement pas revendiquer des droits d’auteur sur le travail qu’ils produisent pour les employeurs, ce n’est certainement pas le cas des entrepreneurs indépendants ou des professionnelsFootnote 29. Les dessins industrielsFootnote 30 et les brevetsFootnote 31 constituent un autre domaine relativement établi en ce qui concerne le droit à la propriété intellectuelle.

Insérer une exemption sur le produit du travail qui s’applique à tous les renseignements préparés ou recueillis dans un contexte de travail, y compris le travail produit par des employés, des entrepreneurs indépendants, des pigistes, des professionnels et des petites et grandes entreprises, pourrait avoir des conséquences non intentionnelles qui modifieraient ou déstabiliseraient les droits actuels de propriété et de contrôle dans ces domaines de droit établis.

En outre, les domaines du droit qui font actuellement l’objet de contestations, en particulier ceux touchant les droits et les obligations dans le domaine du « capital intellectuel » — expérience et savoir acquis pendant le travail, notamment les secrets commerciaux, les renseignements exclusifs et les renseignements confidentiels et des éléments moins concrets comme les listes de clients mémorisées — pourraient être influencés par une exemption qui semble accorder un contrôle plus grand sur le produit du travail à l’employeur ou à l’organisation qui en bénéficie. De la même façon, une exemption pourrait avoir une incidence sur l’approche à propos du droit d’auteur et de la propriété des documents produits par des professeurs — droits importants qui font l’objet de négociations et qui sont âprement défendusFootnote 32.

Même s’il n’existe aucune définition claire ou établie du « produit du travail » dans le contexte de la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, cette expression a d’autres significations dans des contextes différents. Inclure une exemption concernant le « produit du travail » dans la LPRPDE pourrait créer de la confusion. Par exemple, l’expression « produit du travail » a été utilisée de façon assez importante dans le contexte du secret professionnel qui lie un avocat à son clientFootnote 33. Toutefois, ici, le terme n’a pas été utilisé pour refuser aux avocats un intérêt continu de nature privée à l’égard des renseignements qu’ils produisent. Au contraire, l’expression « produit du travail » désigne un travail produit par un avocat qui est assujetti à une revendication de privilège. L'expression « produit du travail » a aussi été utilisée ailleurs pour dénoter une meilleure protection des renseignements personnels ou une confidentialité accrue de l’information produite en milieu de travail — par exemple, dans les notes des journalistesFootnote 34 et dans l’analyse faite par un cabinet d’experts-comptablesFootnote 35

Les renseignements personnels qui sont assujettis à la protection de la confidentialité en vertu de la loi sont beaucoup plus susceptibles d’être considérés comme des renseignements pour lesquels il existe aussi une attente raisonnable en matière de vie privée. Une attente raisonnable en matière de vie privée dans les renseignements personnels a des conséquences directes pour le type d’accès à l’information que les organismes d’application de la loi, les organismes de réglementation et les entreprises privées peuvent avoir. S’il existe une attente raisonnable en matière de vie privée dans l’information, on ne peut cependant y avoir accès qu’après un certain type de procédure judiciaire, qui exige souvent une autorisation judiciaireFootnote 36. Indubitablement, supprimer l’information sur le « produit du travail » de la protection de la LPRPDE laissera croire qu’il n’existe qu’une attente minimale, voire aucune attente, en matière de vie privée dans les renseignements.

En résumé : exclure le produit du travail de la définition des renseignements personnels déstabilisera des domaines établis du droit, mènera peut-être à adopter une position qui peut de façon non intentionnelle faire pencher la balance en faveur d’une partie dans des domaines stratégiques qui sont contestés et supprimera les mesures de protection du domaine des renseignements.

Conclusion

La présente analyse montre qu’il n’existe surtout pas de compréhension claire de ce qu’est le « produit du travail » ni des conséquences qu’il y a à insérer une exclusion dans la LPRPDE. L’analyse porte aussi à croire que toute exemption doit être soigneusement élaborée et qu’il faudrait peut-être modifier ou compléter d’autres articles de la LPRPDE afin d’éviter les difficultés que pose l’intégration de cette exemption au régime de protection des renseignements personnels actuel.

La chose la plus importante à faire est peut-être de cerner de façon précise le problème que l’exemption doit résoudre. La définition actuelle des renseignements personnels a bien servi la LPRPDE et n’a pas créé de difficultés importantes. Par conséquent, il n’est pas évident qu’il y a un problème à résoudre. La définition actuelle n’a pas empêché de nombreuses organisations de créer des politiques et des pratiques en matière de protection des renseignements fondées sur elle (celles-ci devraient modifier ces politiques si la LPRPDE exclut le produit du travail).   

La définition actuelle a permis au CPVP d’adopter une approche de contexte global à l’égard de la protection de la vie privée que lui accorde la LPRPDE sans être gêné par une distinction artificielle faite en fonction du contexte de travail dans lequel les renseignements sont préparés ou recueillis. Si une personne est identifiable, l’information continue d’être « sur » cette personne et est par conséquent assujettie à la LPRPDE et à la surveillance du CPVP. En pratique, cela n’a pas signifié que les organisations ne pouvaient pas utiliser les renseignements personnels des employés ou les renseignements personnels des autres. Toutefois, il y a des limites à cette utilisation, et ces limites ont été soigneusement élaborées afin de tenir compte des besoins légitimes des organisations et du droit des personnes à la vie privée.

La commissaire a déjà dit craindre qu’une exemption liée au produit du travail pourrait accorder aux employeurs un droit d’accroître la surveillance des employés parce que l’activité en question ne serait plus soumise à la protection de la vie privée. Il semble raisonnable de prévoir qu’une conséquence non intentionnelle liée au fait d’insérer une exemption liée au produit du travail non éprouvée et ambiguë serait de saper le droit à la vie privée des employés. Des craintes semblables sont également soulevées en relation avec ceux qui effectuent du travail, mais qui ne sont pas considérés comme des employés.

Les obligations et droits respectifs des employeurs et des employés ont été des sources importantes de plaintes et de préoccupations pour le CPVP, et toute modification qui favoriserait l’érosion du droit à la vie privée des employés doit être évitée.

Il existe de nombreuses raisons de conserver la définition actuelle des renseignements personnels et peu de motifs de la modifier pour exclure l’information sur le produit du travail. On est arrivé à un équilibre et à un consensus délicats dans le régime actuel afin de protéger le droit à la vie privée dans les renseignements personnels. Il serait imprudent d’introduire une exemption liée au produit du travail sans mener des consultations beaucoup plus importantes auprès d’une gamme d’intervenants dont les droits ou les intérêts pourraient être atteints de façon négative et sans recueillir leurs observations.

Date de modification :