Projet de loi C-2
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Soumission du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada à l'intention du Comité législatif de la Chambre des communes
le 30 mai 2006
Ottawa (Ontario)
Le Commissariat à la protection de la vie privée (CPVP) soutient l'idée selon laquelle il importe d’accroître la reddition de comptes et la transparence tel que proposé dans le projet de loi C-2. C’est d’ailleurs dans cet esprit que j’assume mes responsabilités.
Grâce au projet de loi C-2, de premières modifications importantes seront apportées à la Loi sur l’accès à l’information et à la Loi sur la protection des renseignements personnels; la portée de ces lois sera ainsi élargie afin d’inclure de nouvelles sociétés d’État, plusieurs fondations ainsi que les hauts fonctionnaires du Parlement. Dans la mesure où il élargit la portée de la Loi sur la protection des renseignement personnels pour englober davantage d’entités, le projet de loi C-2 représente certainement une amélioration par rapport au statu quo. Je suis néanmoins préoccupée par la proposition visant à assujettir certaines sociétés d’État commerciales à la Loi sur la protection des renseignements personnels plutôt que de maintenir leur assujetissement actuel à la loi appliquée au secteur privé, soit la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques. Je fais plus particulièrement référence à la Société Radio-Canada (SRC) et à Énergie atomique du Canada limitée, qui sont toutes deux des mandataires de Sa Majesté assujetties actuellement par décret à la LPRPDE, ainsi qu’à Via Rail, une entreprise fédérale également régie par la LPRPDE. Considérant le contexte actuel, et tant que des réformes importantes ne seront pas apportées à la Loi sur la protection des renseignements personnels, nous devons tenir compte de la triste réalité : les renseignements personnels sont beaucoup mieux protégés dans le secteur privé sous réglementation fédérale que dans le secteur public fédéral. En fait, en changeant les règles pour ces sociétés d’État commerciales, le niveau de protection des renseignements personnels que ces sociétés d’État sont tenues d’assurer en vertu de la LPRPDE sera diminué; les normes en cours sont équivalentes à celles exigées de leurs concurrents du secteur privé qui sont tous à l’heure actuelle traités sur un pied d’égalité.
De façon générale, je suis en faveur des autres modifications proposées à la Loi sur la protection des renseignements personnels. Je présente ci-dessous, de façon exhaustive, mes observations. Je laisserai le soin au Comité d’étudier certaines suggestions d'ordre technique, lesquelles portent sur des questions de terminologie. Je ne proposerai aucune modification significative au projet de loi C-2.
Ma première observation porte sur l’ajout de l’article 22.1 à la Loi sur la protection des renseignements personnels (disposition n° 183 du projet de loi C-2), qui constitue une exception obligatoire relative aux renseignements établis ou obtenus par le Commissariat dans le cadre d’une enquête. Cette disposition comporte une notion parallèle au contenu du nouvel article 16.1 de la Loi sur l’accès à l’information (disposition n° 146 du projet de loi C-2). J’appuie l’inclusion de ces nouvelles exemptions à la Loi sur l’accès à l’information et à la Loi sur la protection des renseignements personnels à l’égard des vérifications et des enquêtes menées par le CPVP.
Il semble que la nouvelle exemption énoncée dans l’article 22.1 de la Loi sur la protection des renseignements personnels vise en partie à « fermer la porte arrière », c’est-à-dire à empêcher une personne à qui un organisme gouvernemental a refusé l’accès à certains renseignements de déposer une plainte auprès du Commissariat pour obtenir indirectement l’accès à ces mêmes renseignements. Cet article et l’article 16.1, ajoutés à la Loi sur l’accès à l’information, sont conformes aux dispositions actuelles sur la confidentialité prévues dans la Loi sur la protection des renseignements personnels et sont nécessaires au maintien du rôle d’ombudsman du Commissariat et de la confiance des parties lorsqu’une plainte est déposée. Il est tout à fait approprié qu’une plainte soit traitée, notamment si elle est reliée à la protection des renseignements personnels, d’une façon qui respecte la protection de la vie privée.
Dans l’affaire Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), 2002 CSC 53, la Cour suprême du Canada a affirmé que les fonctions des commissaires aux langues officielles et à la protection de la vie privée étaient celles d’un ombudsman, que les commissaires demeuraient indépendants des institutions administratives du gouvernement et qu’ils pouvaient refuser de communiquer les renseignements qu’ils détiennent afin d’accomplir leur mission propre qui consiste à régler les conflits de façon informelle. Selon moi, l’obligation de confidentialité est essentielle aux fonctions de l’ombudsman et encourage les parties à s’engager pleinement dans un processus de conciliation qui fonctionne de façon optimale lorsque les parties réussissent à établir un climat de confiance mutuelle.
J’ai noté que dans son rapport spécial publié le 28 avril, le Commissaire à l’information, a observé qu’il n’était pas nécessaire que les hauts fonctionnaires du Parlement soient visés par une exemption spéciale conformément à la Loi sur l’accès à l’information ou à la Loi sur la protection des renseignements personnels. Selon le Commissaire, une exemption serait contraire à la décision rendue par la Cour suprême dans l’affaire Lavigne. Je ne suis pas d’accord avec cette interprétation.
Dans l’affaire Lavigne, la Cour suprême a établi que conformément aux documents de preuve qui lui avaient été présentés, la commissaire aux langues officiels ne pouvait pas s’appuyer sur l’exemption actuellement prévue à l’alinéa 22(1)(b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. La décision de la Cour suprême est fondée exclusivement sur l’interprétation d’une exemption qui a déjà cours. À mon avis, la décision ne signifie pas, comme le propose le commissaire à l’information, qu’une nouvelle exemption visant les hauts fonctionnaires du Parlement est injustifiée. Les tribunaux reconnaissent de façon continue la nature privée des procédures réalisées en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels et refusent d’ordonner au CPVP de communiquer des documents d’enquête à la demande judiciaire d’une partie.
Je note également que l’exemption prévue à l’article 22.1 ne vise pas les autres hauts fonctionnaires du Parlement. Elle ne vise que le CPVP, contrairement à l’exemption parallèle prévue à l’article 16.1 de la Loi sur l’accès à l’information, qui s’applique également aux autres hauts fonctionnaires du Parlement. Je sais que la commissaire aux langues officielles a déposé une requête visant à ce que le Comité recommande de modifier le projet de loi C-2 afin que soit incluse à la Loi sur la protection des renseignements personnels une exception obligatoire similaire à celle énoncée dans le nouvel article 22.1, garantissant ainsi la protection du processus d'enquête du Commissariat aux langues officielles. Je n'émettrai aucune objection à cet égard.
Pour conclure quant à l’article 22.1, j’aimerais faire remarquer que l’utilisation du mot « documents » me semble erronée puisqu’il s’agit d’un terme utilisé dans l’énoncé de la Loi sur l’accès à l’information et non pas dans celui de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Il conviendrait plutôt de parler de « renseignements personnels ». La formulation appropriée a été utilisée dans les nouveaux articles 22.2 et 22.3. De plus, j’ai noté un certain manque d’uniformité terminologique. Ainsi, on utilise le mot « créé » au lieu de « établi » lequel est employé dans les exemptions actuelles à la Loi sur la protection des renseignements personnels. On retrouve cette même erreur dans les autres exemptions que le projet de loi C-2 propose d’ajouter à la Loi sur la protection des renseignements personnels.
Je suis également en faveur des nouvelles exemptions prévues aux articles 22.2 et 22.3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels (disposition n° 225 du projet de loi C-2), qui visent à protéger les dénonciateurs conformément au projet de loi C-11. Le CPVP s’est montré en faveur de l’anonymat des dénonciateurs lors de sa comparution sur le projet de loi C-11. La divulgation d’actes répréhensibles, ou la dénonciation, n’est pas une question de rivalité entre deux personnes. Il s’agit plutôt d’un signal d’alarme quant à la possibilité qu’il y ait eu perpétration d’actes répréhensibles au sein d’un organisme gouvernemental. L’enquête ne porte pas sur l’identité de la personne qui dénonce mais bien sur la véracité des faits allégués. Il importe de ne pas confondre l’examen nécessaire des témoins, effectué dans le cadre de toute enquête, et la décision du législateur de protéger l’identité de cette personne dans cette situation particulière. Il est également important de se rappeler que, malgré les nouvelles exemptions relatives aux droits à l’accès énoncées aux articles 11 et 22, le projet de loi C-11 exige de l’administrateur général et du commissaire à l’intégrité respectivement d’assurer que le droit à l’équité des procédures et aux règles de justice naturelle du présumé responsable soit respecté. De plus, plutôt que d’établir des sanctions particulières pour punir les actes répréhensibles (à l’exception des dispositions prévues en cas de représailles qui bien entendu incluent les principes de justice naturelle), C-11 laisse aux organismes gouvernementaux concernés le soin de rendre la décision qui s’impose. Des mesures disciplinaires peuvent être prises conformément au cadre législatif applicable et selon les règles d’équité procédurale.
De manière plus pratique, j’aimerais attirer l’attention du Comité sur la protection offerte aux dénonciateurs en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (LPRPDE). La disposition n° 224 du projet de loi C-2 modifie le paragraphe 9(3) de la LPRPDE en ajoutant une nouvelle exemption aux exemptions déjà prévues. Celles-ci sont discrétionnaires, non pas obligatoires; il en découle que les dénonciateurs ne bénéficieront pas du même niveau de protection en vertu de la LPRPDE qu’en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels. (Selon le paragraphe 9(3) de la LPRPDE, une organisation « n’est pas tenue » de communiquer des renseignements personnels dans les situations énoncées, mais rien n’interdit la communication des renseignements). Il serait nécessaire de prévoir une disposition particulière établissant une exception obligatoire, comme c’est le cas dans la Loi sur la protection des renseignements personnels.
Comme dernier commentaire concernant l’article 22.3, j’aimerais souligner qu’on y utilise le mot « créés » mais que l’article 22.2 est plus large puisqu’on y utilise les mots « obtenus ou créés » ce qui est préférable selon moi.
Par ailleurs, j’aimerais commenter l’article 11 de C-11. Si cet article est modifié conformément à la disposition n° 199 du projet de loi C-2, l’administrateur général sera tenu, s’il est établi qu’un acte répréhensible a été commis, de mettre à la disposition du grand public l’information faisant état de l’acte répréhensible, notamment l’identité de son auteur si la divulgation de celle-ci est nécessaire pour en faire état adéquatement. Cette obligation pourrait être problématique pour les organismes de petite taille où il est généralement plus difficile de préserver l’anonymat des personnes puisque une personne ou un petit nombre de personnes seulement sont assignées aux différentes fonctions de ce type d’organismes.
J’appuie les modifications au processus de nomination et de révocation du commissaire à la protection de la vie privée, conformément à l’article 53 de la Loi sur la protection des renseignements personnels (disposition n° 120 du projet de loi C-2), qui assure dans une juste mesure l'indépendance des hauts fonctionnaires du Parlement. Je ne suis pas en faveur de la communication publique du décompte définitif des votes; une telle communication pourrait influer de façon négative sur la confiance mutuelle et nécessaire des parlementaires dans l'exercice du choix définitif d'un haut fonctionnaire.
J’aimerais à présent me pencher sur ce qui, à mon avis, constitue une lacune importante dans le projet de loi C-2, c’est-à-dire l’absence d’un mécanisme d’enquête en cas de plainte déposée contre le commissaire à l’information ou le commissaire à la protection de la vie privée, en vertu des lois respectives définissant leur mandat ou encore en vertu de la loi de l’un ou de l’autre des commissaires, dans le cadre d’une « enquête réciproque ». Très certainement, les commissaires ne peuvent pas faire enquête sur les plaintes déposées contre eux en vertu des lois définissant leur mandat respectif. En ce qui concerne les enquêtes réciproques, bien que la situation soit moins préoccupante, il demeure possible que des problèmes surgissent, en particulier lorsque des renseignements personnels sont en cause. Je suppose que les dispositions faisant en sorte que les lois s’appliquent aux deux commissaires n’entreront en vigueur que lorsqu’un processus d’enquête approprié sera en place. La question a été soulevée dans le document de travail que le gouvernement a présenté le 11 avril, et le CPVP entend faire connaître son avis en temps opportun.
De façon tout à fait objective, je remarque que de nouvelles exemptions sont prévues à la Loi sur l’accès à l’information mais pas à la Loi sur la protection des renseignements personnels. Ces ajouts comprennent le nouvel article 16.2 visant le commissaire au lobbying (disposition n° 89), le nouvel article 16.3 visant le directeur général des élections (disposition n° 147), le nouvel article 18.1 sur les intérêts économiques de certaines sociétés d’État (disposition n° 149), les nouveaux articles 20.1 et 20.2 sur certains documents du Centre national des arts et l’Office d’investissement des régimes de pensions du secteur public (disposition n° 150) ainsi que le nouvel article 22.1 sur les vérifications internes (disposition n° 152). Une nouvelle exclusion est également prévue à la Loi sur l’accès à l’information, mais pas à la Loi sur la protection des renseignements personnels, soit le nouvel article 68.2 visant Énergie atomique du Canada limitée (disposition n° 161).
Je remarque également certains ajouts à la Loi sur l’accès à l’information, comme le nouvel article 4 (2.1), qui clarifie les responsabilités des institutions gouvernementales en ce qui a trait à l’aide que celles-ci doivent apporter aux personnes présentant une demande d’accès. Il conviendrait d’examiner la possibilité d’apporter des ajouts semblables à la Loi sur la protection des renseignements personnels. Le Commissariat prévoit examiner la question devant le Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique dans le cadre de l’examen exhaustif de la Loi sur l’accès à l’information.
Je ferai valoir au Comité permanent que je crois fermement que la réforme de la Loi sur l’accès à l’information ne peut pas et ne devrait pas se faire sans prendre en compte la Loi sur la protection des renseignements personnels. Cette nécessité paraît déjà évidente à la lumière des modifications au projet de loi C-2, qui propose des dispositions parallèles aux deux lois.
Cette position est appuyée également par une décision rendue récemment par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Heinz c. Canada (procureur général), 2006 CSC 13. La Cour a en effet établi que les deux lois doivent être interprétées conjointement comme un « code homogène » et que le Parlement prévoyait que les deux lois (sur l’accès et la protection des renseignements personnels) rehaussent le niveau de reddition de comptes du gouvernement. Il en découle bien évidemment un meilleur accès à l’information détenue par le gouvernement. Mais il en découle aussi qu’il faut renforcer les droits des personnes prévus dans la Loi sur la protection des renseignements personnels, grâce auxquels les personnes peuvent savoir comment s'informer de l'utilisation de leurs renseignements personnels, vérifier l'exactitude de leurs renseignements, et s'assurer que ces renseignements servent aux fins d’un programme ou d’activités d’un organisme gouvernemental.
Le CPVP a formulé ses observations et entrepris un examen exhaustif sur la nécessité de réformer la Loi sur la protection des renseignements personnels. Je déposerai bientôt au Comité permanent un rapport intitulé « Responsabilité en matière des renseignements personnels : Réforme de la Loi sur la protection des renseignements personnels ». Si elles sont acceptées, mes propositions renforceront nettement l’initiative du gouvernement en matière de reddition de comptes, et ce, grâce aux changements apportés à la Loi sur la protection des renseignements personnels, attendus depuis longtemps.
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