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Projet de loi C 13, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques et la Loi sur la défense nationale

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Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile

Le 8 février 2005
Ottawa (Ontario)

Allocution d'ouverture prononcée par Jennifer Stoddart
Commissaire à la protection de la vie privée du Canada

(LE TEXTE PRONONCÉ FAIT FOI)


Je vous remercie de nous avoir invités à faire des observations sur le projet de loi C-13, qui modifie le Code criminel, la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques et la Loi sur la défense nationale.

Nous comparaissons devant vous aujourd'hui pour vous signifier notre très profonde préoccupation quant à l'incidence d'une expansion plus large de la banque de données génétiques. Plus précisément, il n'y a pas de preuves raisonnables, à l'heure actuelle, qui puissent démontrer de quelle manière la collecte d'échantillons génétiques pour des nouvelles infractions proposées pourrait nous aider à parvenir à une société plus juste et plus sécuritaire.

Permettez-moi d'abord d'indiquer clairement que le Commissariat à la protection de la vie privée, à l'instar de nombreuses citoyennes et de nombreux citoyens, s'inquiète de la sécurité publique, en particulier, la protection des citoyennes et des citoyens contre les crimes les plus graves et les plus haineux.

Rapprochement de l'intégrité du système de justice et des besoins d'application de la loi

En tant que Canadiennes et Canadiens, nous avons choisi de vivre dans une société démocratique fondée sur les droits et libertés fondamentaux des personnes. Nous avons choisi de restreindre, dans la limite du raisonnable, la mesure dans laquelle l'État peut enfreindre ces droits et libertés au nom de l'application de la loi. La protection de la vie privée figure parmi ces droits et libertés, et il m'incombe de rappeler au Comité son importance capitale, surtout dans un contexte mettant en cause les empreintes génétiques des personnes.

L'information que contient un échantillon d'ADN constitue un risque très grave pour la vie privée et, par conséquent, commande les mesures de protection les plus puissantes. La juge Arbour, à l'époque juge de la Cour suprême, reconnaît explicitement cet état de fait dans la décision rendue en 2003 par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c.  S.A.B concernant les dispositions relatives aux mandats ADN :

« Le droit à la vie privée dans le contexte informationnel est aussi clairement mis en cause par le prélèvement d'échantillons de substances corporelles dans le cadre de l'exécution d'un mandat ADN. En fait, c'est là la principale source d'inquiétude quant à la collecte de renseignements génétiques par l'État. Le droit à la vie privée dans le contexte informationnel découle du postulat que l'information à caractère personnel est propre à l'intéressé, lequel est libre de la communiquer ou de la taire comme il l'entend. Il ne fait aucun doute que l'ADN d'une personne renferme, au plus haut degré, des renseignements personnels et privés. »1

On peut se demander comment cela peut-il être si différent de la pratique actuelle des empreintes digitales. Si une empreinte digitale peut identifier clairement une personne, l'ADN peut tout révéler d'une personne. Plus encore, compte tenu de sa valeur implicitement prédictive, les empreintes génétiques peuvent être utilisées pour tirer des conclusions, même si ces conclusions sont seulement fondées sur des probabilités qui peuvent se concrétiser ou qui peuvent tout aussi bien ne jamais se réaliser.

Néanmoins, nous reconnaissons explicitement aussi le rôle vital de l'ADN dans le maintien et le fonctionnement du système de justice criminelle du Canada. Les techniques modernes d'appariement des empreintes génétiques peuvent réussir à identifier des personnes ayant commis des infractions à caractère violent et des infractions d'ordre sexuel, de même qu'à exonérer les personnes innocentes qui ont été condamnées à tort.

Nous ne contestons pas la création de la banque de données génétiques. D'ailleurs, le Commissariat a activement pris part à ce débat depuis longtemps et ne s'est pas opposé pas à l'établissement de la banque de données en 1998. Nous continuons de contribuer au dialogue sur le fonctionnement d'une telle banque, par l'entremise de la participation du commissaire adjoint, Raymond D'Aoust, à titre de membre du Comité consultatif de la banque nationale de données génétiques. Des contrôles et des conditions précis régissent le prélèvement d'empreintes génétiques auprès de personnes reconnues coupables d'infractions désignées. De plus, les procédés portant l'inclusion des données génétiques dans la banque de données et limitant leur utilisation sont bien définis.

Cependant, la Cour suprême du Canada a démontré très clairement que le seul critère de l'efficacité ne saurait suffire à justifier l'atteinte aux droits des personnes. Afin de pouvoir nous sentir en sécurité et à l'abri des crimes, nous devons d'abord et avant tout continuer à avoir confiance dans la réputation et l'intégrité de notre système de justice et cette confiance repose sur le respect des droits de la personne.

Pour reprendre les propos du juge Iacobucci :

« [...] il ne faut jamais perdre de vue que même la personne accusée du crime le plus ignoble, peu importe la probabilité qu'elle ait bel et bien commis ce crime, a droit à la pleine protection de la Charte . Couper court aux droits qui y sont garantis ou les court-circuiter nuit non seulement à l'accusé, mais aussi à toute la considération dont jouit le système de justice criminelle. Il faut souligner que les objectifs de protection de l'intégrité du système de justice criminelle et de promotion de l'honnêteté des techniques d'enquête sont d'importance fondamentale[...] »2

Changement fondamental des critères sous-jacents de l'inclusion à la banque de données génétiques

« Le prélèvement d'échantillons en vue de l'établissement de profils d'identification génétique destinés à la banque de données a une double justification : la gravité de l'infraction et la probabilité que des substances corporelles soient trouvées sur le lieu du crime. » C'est dans ces termes que l'honorable Andy Scott, solliciteur général de l'époque, a exposé les motifs de la création de la banque nationale de données génétiques lors de sa comparution devant votre Comité le 4 février 1998.

La Cour suprême du Canada a par la suite confirmé, dans l'arrêt R. c.  S.A.B, que la banque de données génétiques « ne s'applique qu'aux infractions désignées (énumérées à l'art. 487.04), lesquelles consistent principalement en des infractions à caractère violent et des infractions d'ordre sexuel dans la perpétration desquelles il peut y avoir perte ou échange de substances corporelles pouvant servir à identifier l'auteur des infractions par analyse génétique ».3

Nous avons été témoins d'un changement fondamental de cette justification en faveur de ce qui semble être un registre national de plus en plus répandu de la population des criminels reconnus coupables. On s'éloigne ainsi de la philosophie sous-jacente des dispositions relatives à la banque nationale de données génétiques par rapport au modèle initialement conçu et approuvé par le Parlement. L'adoption en 2001 du projet de loi C-36 d'alors, la Loi antiterroriste, a entraîné l'adjonction de nouvelles infractions, et le présent projet propose maintenant d'autres infractions qui ne semblent pas remplir ces critères au regard des infractions à caractère violent et des infractions d'ordre sexuel mettant en cause la perte ou l'échange des substances corporelles.

Nous exhortons les membres du Comité à remettre en question l'expansion grandissante du programme de la banque de données génétiques et à insister pour que des motifs démontrables et des critères solides soient établis et respectés avant que de nouvelles infractions ne soient ajoutées.

L'élargissement proposé de la banque de données génétiques et reclassification proposée des infractions

Bien que le projet de loi ne porte pas sur le prélèvement d'échantillons génétiques auprès de toutes les personnes accusées d'une infraction grave, nous savons que d'aucuns avalisent une telle mesure. Nous tenons à féliciter l'honorable Irwin Cotler, ministre de la Justice, de la position qu'il a présentée au Comité le 6 décembre 2004 à l'encontre de l'expansion de la banque de données en vue de la collecte de données génétiques auprès des personnes lorsqu'elles sont mises en accusation.

En principe, nous estimons que le nombre d'infractions à l'égard desquelles des prélèvements d'empreintes génétiques peuvent être faits et versés à la banque de données doit être limité le plus possible, et que l'inclusion de ces infractions doit reposer sur une justification clairement énoncée et facile à prouver.

À notre avis, le projet de loi n'arrive pas à présenter un argument concluant en faveur soit de l'inclusion de nouvelles infractions aux dispositions relatives à la banque de données génétiques, soit du transfert de certaines de ces infractions de la liste des infractions « secondaires » à celle des infractions « primaires ».

Au-delà de la question de savoir si oui ou non les adjonctions proposées respectent la justification initiale, il reste que des recherches documentées ne semblent pas établir une corrélation claire entre la perpétration de quelques-unes des infractions moins graves dont l'ajout est envisagé et la perpétration d'autres infractions à caractère plus grave et violent.

À titre d'exemple, s'il est vrai que plusieurs contrevenants qui commettent des infractions à caractère violent ou d'ordre sexuel peuvent également perpétrer des infractions comme des entrées par effraction, il ne coule pas nécessairement de source que quiconque commet une entrée par effraction commettra également des infractions à caractère plus violent. De plus, nous n'avons pas été saisis d'éléments probants concernant la probabilité que quiconque commet une infraction comme l'accès à la pornographie juvénile commettra vraisemblablement une infraction d'ordre sexuel ou une infraction où il est probable que des substances corporelles soient trouvées sur le lieu du crime qui puissent servir à des fins d'appariement.

Cette omission est très sérieuse. Je m'étonne et je m'inquiète au plus haut point du manque apparent de preuve scientifique pouvant être invoquée pour justifier ces changements.

Mot de la fin

En terminant, je tiens à préciser que nous sommes préoccupés par la sécurité de nos enfants et de nos voisins. Nous ne sommes pas insensibles aux victimes de crimes. Nous ne sommes pas opposés à la prévention du crime et aux sanctions envers ceux qui commettent des délits.

Notre réserve réside dans le fait que nous nous éloignons des dispositions relatives à la banque nationale de données génétiques qui comprend uniquement les échantillons génétiques de ceux qui ont commis des infractions à caractère violent et des infractions d'ordre sexuel dont la nature du crime est telle qu'il peut y avoir perte ou échange de substances corporelles trouvées sur les lieux du crime. J'ai bien peur que nous nous dirigeons vers un registre de tous les contrevenants qui sont reconnus coupables. Et nous empruntons cette voie sans considération à l'égard de la justification initiale et sans preuves probantes qui pourraient démontrer l'inclusion de ces nouvelles infractions.

Nous sommes ici aujourd'hui pour exhorter les membres de ce Comité à réfléchir posément avant de passer à cette étape. Si l'objectif de la banque de donnés génétiques est de prévenir et de résoudre des crimes, alors ne devrions nous pas nous concentrer à créer une banque de données plus efficace avant de mettre sur pied une banque de données plus élargie? Savons-nous si la banque de données actuelle fonctionne à son plein rendement? A-t-on des ressources nécessaires pour lui permettre de fonctionner adéquatement? D'après le rapport annuel 2002-2003 de la Banque nationale de données génétiques du Canada, la banque de données n'a obtenu que la moitié des échantillons escomptés au milieu de l'année 2003. Nous croyons également qu'il y a des retards dans le traitement d'échantillonnage au niveau régional.

À moins qu'une justification claire et des éléments de preuve empiriques ne soient fournis au Comité à l'appui de l'inclusion de nouvelles infractions proposées, voire tant qu'il ne les aura pas reçus, nous recommandons que ces dispositions ne soient pas adoptées pour l'instant. Plutôt, la prise en considération de ces dispositions devrait être retardée jusqu'à l'examen de la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques, qui d'après l'article 13 de la Loi qui stipule qu'un examen doit s'effectuer dans les cinq ans suivant son entrée en vigueur en juin 2000, devrait débuter d'ici peu. Il sera alors possible de prendre en délibéré la loi d'une manière plus holistique et plus cohérente que maintenant.

Je vous remercie de m'avoir accordé votre attention aujourd'hui.

Je répondrai volontiers à vos questions.


1 R c. S.A.B. , [ 2003] 2 R.C.S. 678.
2 Citation du juge Cory dans R c. Stillman , [1997] 1 R.C.S. 607 à la page 126.
3R c. S.A.B. [ 2003] 2 R.C.S. 678.

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