Chaque fois que j’en ai l’occasion, je demande aux jeunes Canadiennes et Canadiens pourquoi ils partagent autant d’information avec autant de gens quand ils sont en ligne. En tant qu’adulte d’un certain âge, je formule souvent ma question en citant les conséquences négatives de la surdivulgation : perte d’emploi, vol d’identité, voire risque physique.
Et si nous, comme société, apprenions à vivre avec la plus grande fréquence des comportements inappropriés de la part des jeunes qui, il faut bien le dire, sont encore en train d’apprendre à vivre avec d’autres humains dans leur habitat naturel?
Voici donc à ce sujet une dose de réalité et un commentaire franc de la part de Clay Shirky, tiré d’un échange sur la vie privée dans un monde branché paru dans le New York Times :
« La société a toujours laissé aux jeunes personnes un espace où avoir des écarts de conduite. Jadis, nous le faisions en établissant une frontière entre les comportements qu’on ne voyait pas, parce qu’ils étaient cachés, et les comportements qu’on pouvait voir, parce qu’ils étaient publics. Ce compromis ne tient plus, parce que la vie sociale comprend de plus en plus une zone grise qui contient des éléments disponibles au grand public, mais non destinés au grand public.
En raison de ce changement, nous devons trouver de nouveaux moyens de donner un peu de latitude aux jeunes personnes. Auparavant, le droit à la vie privée était respecté parce qu’il aurait été difficile de l’enfreindre; on ne pouvait pas se mettre tout bonnement à espionner n’importe qui. De plus en plus, toutefois, le droit à la vie privée devra être respecté par nous, les grandes personnes, qui choisissons de tourner notre regard parce que ça ne nous concerne pas.
Cette discipline ne sert pas seulement à les protéger; elle sert également à nous protéger. Si vous avez un candidat en tête pour un poste et qu’il a des photos de mauvais goût sur le Web, il a un problème. Mais si un candidat sur dix affiche le même genre de photos, c’est vous qui avez un problème, parce que vous êtes désavantagés sur le marché de l’emploi par rapport aux entreprises qui n’espionnent pas.
Les gens de mon âge font la morale aux jeunes en leur disant que nous n’aurions jamais affiché de telles photos dans notre temps, mais c’est de la foutaise. On l’aurait fait sans cligner, mais personne ne nous en a donné la chance… » [traduction]
À titre de défenseurs du droit à la vie privée ou de parents préoccupés (ou d’oncles, tantes, grands-parents préoccupés, ou même de frères et sœurs fatigants), nous mettons l’accent sur les risques physiques ou monétaires associés au partage débridé de renseignements personnels en ligne. Comme le souligne Shirky, toutefois, leur comportement n’est pas différent de celui des générations précédentes — on leur a seulement donné davantage d’occasions d’affirmer au grand jour leurs forces et leurs faiblesses.
Peut-être que la solution est de cerner les enjeux qui ont un effet immédiat sur la vie des jeunes Canadiennes et Canadiens — comme leurs vies amoureuses.
Des chercheurs de l’Université de Guelph ont découvert que plus les jeunes Canadiennes et Canadiens passaient de temps sur un réseau social, plus ils étaient susceptibles de devenir jaloux de leur amis de cœur.
« Ça devient une boucle de rétroaction », affirme Emily Christofides, étudiante diplômée en psychologie à l’Université de Guelph. « La jalousie mène à une surveillance accrue de la page du partenaire sur Facebook, qui mène en retour à une plus grande visibilité des renseignements pouvant susciter des sentiments de jalousie. »
« Ça favorise un cercle vicieux », ajoute Mme Christofides. « Si un partenaire de la relation communique des renseignements personnels, cela augmente la probabilité que l’autre personne en fera de même, ce qui augmente la probabilité de jalousie. » [traduction]
Et ÇA, c’est une conséquence que les jeunes Canadiennes et Canadiens peuvent comprendre.