Au Commissariat, nous passons beaucoup de temps à réfléchir à la question suivante : en dépit des nombreuses études qui indiquent clairement que la protection de la vie privée compte aux yeux des Canadiennes et des Canadiens, pourquoi est-ce qu’un grand nombre d’entre nous communiquons nos renseignements personnels à tous ceux qui le demandent? Nous savons que les gens accordent de l’importance à la protection de la vie privée, mais pourtant, ils continuent d’échanger leurs renseignements personnels contre à peu près n’importe quoi – des services « gratuits » ou la chance de gagner quelque chose. Pourquoi notre comportement ne reflète-t-il pas toujours nos propos? Où se produit la rupture, exactement?
Afin de jeter un peu de lumière là-dessus, tournons-nous vers un champ de la science économique. L’économie comportementale intègre la psychologie aux théories économiques classiques en vue de savoir ce qui nous pousse à prendre des décisions et de mieux comprendre et prédire nos choix. Elle perçoit l’individu non pas seulement comme un être unique, mais comme un ensemble d’êtres ayant des préférences variées à différents moments. Les tenants de l’économie comportementale balaient la notion selon laquelle les humains sont des décideurs sensés en quête d’un pragmatisme toujours plus grand. Au contraire, ils considèrent notre comportement comme quelque chose de complexe et dynamique.
L’incohérence temporelle est une sous-théorie intéressante de l’économie comportementale. En gros, elle explique que nous avons tendance à être « partiaux au présent » – nous accordons plus de « valeur » au présent qu’à l’avenir. Extrapolons ce concept au domaine de la protection de la vie privée : se défaire de renseignements personnels pour s’inscrire gratuitement à un site de réseautage social nous est plus utile dans l’instant que l’état général futur de la protection de notre vie privée – disons dix ans plus tard. En bout de ligne, même si nous jugeons la protection de la vie privée importante, nous continuons à faire des choix présents qui ont une incidence néfaste sur l’avenir. Nous oublions que ce qui est idéal dans l’instant risque de ne pas le rester.
Il y a quelques mois, l’incohérence temporelle a suscité un certain intérêt alors que Google Labs lançait une nouvelle fonction baptisée « Mail Goggles ». Véritable système d’alerte rapide en cas de « communication en état d’ébriété », cette fonction, lorsqu’elle est activée, empêche les gens d’envoyer des courriels tard la nuit, les fins de semaine, avant d’avoir résolu quelques problèmes mathématiques. De manière simple et amusante, Google a réussi à tirer profit du concept d’incohérence temporelle – en nous permettant d’exercer immédiatement un contrôle sur nos futurs agissements (qui pourraient s’avérer embarrassants). Mail Goggles nous permet de nous engager, dans le présent, à ne pas commettre d’actions compromettantes plus tard.
En quoi cela concerne-t-il la protection de la vie privée? Eh bien, en nous aidant à réfléchir à des moyens d’utiliser l’incohérence temporelle pour promouvoir un comportement favorisant la protection de la vie privée. Par exemple, on pourrait rendre obligatoire l’installation d’un signal désagréable dans tous les ordinateurs, lequel se déclencherait chaque fois que nos activités en ligne risquent de porter atteinte à notre vie privée…
Blague à part, si Google peut nous aider à éviter l’humiliation d’appels ou de courriels avinés en tirant des leçons de l’économie comportementale, il vaut sûrement la peine de se pencher davantage sur les possibilités qu’offre cette discipline pour mieux protéger la vie privée.