Mémoire concernant la consultation sur la réputation (Journalistes canadiens pour la liberté d’expression et autres)
Journalistes canadiens pour la liberté d’expression, Association canadienne des journalistes, Centre For Free Expression, Journaux canadiens, Le Devoir, La Presse, Fédération professionnelle des journalistes du Québec, Buzzfeed Canada, National NewsMedia Council, magazine NOW
Août 2016
Remarque : Ce document a été présenté par les auteurs ou auteures au Commissariat à la protection de la vie privée du Canada dans le cadre de la consultation sur la réputation en ligne.
Avertissement : Les opinions exprimées dans ce document sont celles des auteurs ou auteures et ne reflètent pas nécessairement celles du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada. Comme ce mémoire a été fourni par une entité non assujettie à la Loi sur les langues officielles, il a été traduit de sa langue d’origine par le Commissariat à titre indicatif. En cas de divergence, veuillez consulter la version anglaise. Pour plus d’information sur la politique du Commissariat sur l’offre de contenu dans les deux langues officielles, vous pouvez consulter la page d’Avis importants.
Monsieur,
Nous, les organisations soussignées, estimons que le « droit à l’oubli » constitue une menace à la liberté de presse au Canada, et qu’il n’a pas sa raison d’être dans le droit canadien. Le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada a entamé un dialogue sur les enjeux relatifs à la protection de la vie privée concernant la réputation en ligne et, dans ce contexte, a demandé aux répondants d’envisager le droit à l’oubli comme une mesure pouvant permettre de « protéger la vie privée et la réputation ». Des tentatives récentes visant à concrétiser cette idée en Europe ont eu des conséquences importantes et imprévues, lesquelles portent atteinte à la liberté d’expression et aux principes s’appliquant à l’Internet ouvert. Dans un article paru dans la Stanford Law Review, Jeffrey Rosen, professeur de droit à l’Université George Washington, a qualifié le droit à l’oubli de « la plus grande menace à la liberté d’expression sur Internet pour les dix prochaines années » [traduction].
En mai 2014, la Cour de justice de l’Union européenne (UE) a statué que les citoyens de l’UE avaient le droit d’effacer du contenu juridique véridique les concernant des résultats de moteurs de recherche, à condition qu’il s’agisse de renseignements « inadéquats, non pertinents ou désuets » [traduction], confiant à Google la responsabilité de décider quels renseignements répondent à ces critères. Le contenu publié peut demeurer sur le Web, mais le chemin principal permettant de trouver l’information est supprimé. La Computer and Communications Industry Association a prévenu que cette décision « ouvre la voie à une censure privée à grande échelle en Europe » [traduction]. Selon Ann Cavoukian, ancienne commissaire à la protection de la vie privée de l’Ontario, c’est comme si le gouvernement retirait des livres du catalogue sur fiches d’une bibliothèque, mais qu’il laissait les livres sur les rayons. Bien que les livres en soi ne puissent pas être légalement retirés, on s’assure que personne ne puisse les trouver.
Cette décision a eu un effet paralysant sur la liberté d’expression en Europe. En effet, un nombre sans cesse croissant de citoyens cherchent désormais des renseignements en ligne à leur sujet. Depuis que la décision a été rendue, il y a deux ans, Google a déjà traité plus de 400 000 demandes de suppressions de liens URL, s’acquittant ainsi du fardeau non désiré et totalement injustifié de faciliter la censure de masse. Les décisions relatives au contenu rédactionnel doivent être prises par les éditeurs, et non par des entreprises de technologies. Google ne peut pas et ne devrait pas décider quels sont les renseignements auxquels le public peut avoir accès ou non.
Le nombre élevé de demandes, combiné au caractère imprécis inhérent au « droit à l’oubli », démontre qu’il n’existe pas de façon simple de déterminer si la demande d’une personne est légitime ou non. Les responsables des moteurs de recherche pourraient — on peut le comprendre — décider qu’il est plus prudent d’accéder de façon arbitraire aux demandes visant le retrait de contenu, évitant ainsi de se voir infliger des amendes, plutôt que de consacrer le temps nécessaire pour s’assurer de la protection de l’intérêt public et de la liberté d’expression. Après tout, ce n’est pas le rôle d’une entreprise de technologies du secteur privé, ni de l’État d’ailleurs, de décider quels renseignements sont « inadéquats, non pertinent ou désuets ». En effet, dans une société ouverte, il s’agit là de la prérogative des citoyens, qui échangent librement des idées et qui sont tout à fait en mesure de trancher ce genre de question par eux mêmes.
Le mandat relatif au droit à l’oubli peut être utilisé — et a d’ailleurs été utilisé — par des personnes puissantes et riches comme un outil permettant d’épurer les résultats des recherches effectuées dans Google de façon à ce qu’aucun renseignement véridique de nature négative ne puisse être trouvé à leur sujet, limitant ainsi la capacité du public de consulter, à juste titre, des renseignements juridiques exacts. Il est par le fait même plus difficile pour les dissidents et les journalistes de transmettre l’information voulue au public, et les citoyens s’en trouvent moins bien informés.
Le droit à l’oubli, quelle que soit la façon dont il interprété dans le contexte canadien, entre en conflit avec l’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés, qui est libellé ainsi : « […] liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication […] ». Les renseignements et les articles publiés en ligne ne devraient pas être supprimés à la demande de citoyens inquisiteurs. Le droit à l’oubli constitue un danger pour la liberté de presse et la liberté d’expression, et il n’est aucunement applicable au Canada.
Signé,
Journalistes canadiens pour la liberté d’expression
Association canadienne des journalistes
Centre For Free Expression (CFE)
Journaux canadiens
Le Devoir
La Presse
Fédération professionnelle des journalistes du Québec
Buzzfeed Canada
National NewsMedia Council
Magazine NOW
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