Mémoire soumis dans le cadre de la consultation du Commissariat sur la réputation en ligne (Le Globe and Mail)
Le Globe and Mail
Août 2016
Remarque : Ce document a été présenté par les auteurs ou auteures au Commissariat à la protection de la vie privée du Canada dans le cadre de la consultation sur la réputation en ligne.
Avertissement : Les opinions exprimées dans ce document sont celles des auteurs ou auteures et ne reflètent pas nécessairement celles du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada. Comme ce mémoire a été fourni par une entité non assujettie à la Loi sur les langues officielles, il a été traduit de sa langue d’origine par le Commissariat à titre indicatif. En cas de divergence, veuillez consulter la version anglaise. Pour plus d’information sur la politique du Commissariat sur l’offre de contenu dans les deux langues officielles, vous pouvez consulter la page d’Avis importants.
Le Globe and Mail croit fermement que le droit à l’oubli éroderait considérablement le droit constitutionnel à la liberté d’expression prévu par la Charte canadienne des droits et libertés. Tel que l’a énoncé la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. Sharpe « la liberté d’expression est la matrice, l’élément essentiel de presque toute forme de libertéNote de bas de page 1 » [traduction]. Le droit à la vie privée d’une personne ne doit pas être protégé au détriment d’un droit fondamental d’une société démocratique. La liberté de la presse exige que l’information précise et véridique soit facilement accessible au public.
Le Document de Travail du Commissariat à la protection de la vie privée (CPVP) a marqué une distinction entre supprimer un contenu et retirer des liens URL de moteurs de recherche, mais le fait de reléguer un contenu à l’obscurité du Web entraîne un résultat semblable. De plus en plus, les Canadiens accèdent aux nouvelles par diverses plateformes en ligne et s’en remettent souvent aux moteurs de recherche pour trouver l’information qu’ils jugent pertinente. Restreindre le repérage d’informations précises et véridiques constituerait une approche détournée pour restreindre la liberté de la presse. Adopter une position semblable à celle énoncée dans la décision de 2014 de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), qui a statué que les moteurs de recherche devraient supprimer les liens renvoyant à des informations qui sont « inadéquates, pas ou plus pertinentes », porterait atteinte fondamentalement à l’exigence établie depuis longtemps de prouver qu’une restriction de la liberté d’expression est justifiée dans une société libre et démocratique et obligerait une entreprise (telle que Google ou Yahoo) à justifier l’accès à du contenu véridique en vertu de normes — imprécises en matière de pertinence et d’adéquation. Les normes en matière de pertinence peuvent changer au cours du temps. Par exemple, les actions ou les déclarations passées d’une personne peuvent devenir pertinentes si elle décide un jour de se présenter à des élections. Les entreprises ne sont pas qualifiées pour déterminer quelles informations devraient être facilement accessibles au public canadien.
Google a reçu 351 000 demandes de suppression de contenu suite à la décision de la CJUE, selon le document de travail du CPVP. Un tel volume représente un fardeau pour les entreprises. Les entreprises ont l’obligation fondamentale d’agir dans le meilleur intérêt de leurs actionnaires. Ce mandat entre souvent en contradiction avec la volonté d’effectuer une analyse minutieuse et potentiellement coûteuse de ces demandes et crée une importante incitation financière poussant les entreprises à rationaliser les demandes de suppression de contenu et à agir prudemment afin d’éviter les amendes ou les litiges.
Le cadre canadien établit actuellement un équilibre approprié entre la liberté d’expression et le droit à la vie privée des personnes. Cet équilibre est réalisé par le biais de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (LPRPDE), les lois sur la diffamation et, plus récemment, les délits d’atteinte à la vie privée, tels que les délits d’intrusion dans l’intimité et la divulgation publique de faits privés. Tel qu’il est noté à la page 10 du Document de Travail du CPVP, ces affaires sont très complexes sur le plan juridique. Cette complexité démontre précisément que la responsabilité d’équilibrer le droit à la vie privée des personnes avec le droit constitutionnel de la liberté d’expression ne devrait pas être transférée des tribunaux canadiens aux entreprises multinationales, lesquelles ont une connaissance limitée du droit constitutionnel canadien. Déterminer un équilibre adéquat des intérêts entre le droit à la vie privée des personnes et le droit à la liberté d’expression requiert une réflexion minutieuse et éclairée et ne devrait pas être simplifié au point où l’information disponible serait injustement restreinte à ce que les personnes choisissent de divulguer.
Nous estimons, respectueusement, que le droit à l’oubli ne s’applique pas dans le contexte canadien. Les personnes ne devraient pas avoir le droit de réécrire l’histoire en rendant inaccessibles des informations précises et véridiques. L’adoption du droit à l’oubli entraînerait de conséquences considérables impactant le droit constitutionnel de la liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication. Les tribunaux, et non les entreprises, sont les seuls arbitres qualifiés pour équilibrer la liberté d’expression enchâssée dans la Constitution avec les intérêts privés des personnes
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