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La communication responsable de renseignements en situation de violence conjugale

Résolution des commissaires et ombuds fédéral, provinciaux et territoriaux à la protection de la vie privée

Toronto (Ontario), du 8 au 10 octobre 2024

Contexte

La violence conjugale (également appelée « violence entre partenaires intimes ») est un problème répandu dans notre société, qui touche la population canadienne d’un océan à l’autre, dans les collectivités urbaines, rurales et éloignées. Il s’agit d’une forme de violence fondée sur le sexe qui est infligée surtout aux femmes et aux personnes de diverses identités de genre, et qui comporte de multiples préjudices causés par leur conjoint actuel ou leur ancien conjoint. Elle a lieu souvent derrière des portes closes, et elle peut faire en sorte que la victime ou la survivante se sente isolée et effrayée, et avoir des effets dévastateurs sur les enfants et les jeunes qui y sont exposés.

La pandémie mondiale a donné lieu à une montée en flèche de la violence conjugale, les confinements et d’autres facteurs ayant isolé de nombreuses victimes ou survivantes à la maison avec leur conjoint violentNote de bas de page 1. En 2023, 123 319 incidents de violence conjugale dont les victimes ou survivantes étaient âgées de 12 ans ou plus ont été signalés à la police au CanadaNote de bas de page 2. Cette statistique est alarmante, mais le nombre réel d’incidents de violence conjugale est sans doute plus élevé, car bon nombre d’entre eux ne sont pas signalés pour diverses raisons, dont la peur, la stigmatisation ou la méfiance à l’égard du système de justice pénaleNote de bas de page 3.

Des intervenants de multiples secteurs s’emploient à réduire ou à éliminer les torts causés par la violence conjugale, notamment ceux de la justice, de la santé et des services sociaux, qui interviennent directement auprès des conjoints violents, des victimes, des survivantes ou d’autres personnes touchées (p. ex., les enfants). Le secteur privé peut aussi jouer un rôle important en prenant les mesures raisonnables qui s’imposent pour éviter que leurs clientesNote de bas de page 4 et employées ne subissent de la violence conjugale. Ces secteurs peuvent être assujettis à des lois différentes en matière de protection de la vie privée.

Récemment, un certain nombre d’enquêtes publiques marquantes sur des cas de violence conjugale ont été menées au Canada, notamment l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, la Commission des pertes massives de la Nouvelle-Écosse et l’enquête de 2022 du coroner de l’Ontario sur le décès tragique de trois femmes du comté de Renfrew, en Ontario (l’« enquête de l’Ontario »). Ces enquêtes ont révélé que des idées fausses circulaient sur les renseignements personnels ou les renseignements personnels sur la santé (les « renseignements personnels ») qu’il est permis de divulguer en vertu des lois canadiennes sur la protection de la vie privée. Parfois, préoccupés par la confidentialité et la possibilité de porter atteinte au droit des particuliers à la vie privée, les organisations et leur personnel qui sont visés par ces lois se retrouvent en quelque sorte paralysés, ne sachant trop comment réagir à une situation de violence conjugale. En réponse à l’enquête de l’Ontario, le Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario a publié le document Communication de renseignements en situation de violence conjugale : lignes directrices à l’intention des professionnels pour aider les organisations et leur personnel à prendre des décisions éclairées en matière de protection de la vie privée, de confidentialité et de sécurité publique, notamment pour évaluer et réduire le risque de violence conjugale.

Pour prévenir la violence conjugale ou en atténuer les conséquences, il est essentiel de communiquerNote de bas de page 5 de façon responsable et en temps opportun des renseignements personnels aux personnes en danger et à d’autres personnes ou organismes qui en ont besoin pour réduire ou éliminer un risque grave pour la santé ou la sécurité. Par exemple, un organisme pourrait être autorisé à communiquer des renseignements personnels concernant le conjoint violent à la victime ou survivante ou à un autre organisme à des fins d’évaluation des risques et de planification des mesures de sécurité dans certaines situations. La communication opportune de renseignements peut faire la différence entre la vie et la mort.

Le gouvernement, les organisations et leur personnel doivent se familiariser avec les lois canadiennes sur la protection de la vie privée afin de dissiper les idées fausses concernant les circonstances où il est permis de communiquer des renseignements pour prévenir la violence conjugale. Ces lois autorisent généralement la communication de renseignements personnels s’il existe un risque grave pour la santé ou la sécurité d’une personne et si cette communication est raisonnablement nécessaire pour réduire ou éliminer ce risqueNote de bas de page 6. Elles permettent également de communiquer des renseignements avec le consentement de la personne concernée ou si la loi l’autorise.

Certaines provinces canadiennesNote de bas de page 7 ont également adopté une Loi de ClareNote de bas de page 8, qui permet généralement à un service de police de communiquer des renseignements personnels liés au risque concernant un particulier à leur conjoint actuel ou à leur ancien conjoint afin de favoriser la prise de décisions éclairées au sujet de sa sécurité et de leur relation.

Les lois canadiennes sur la protection de l’enfance autorisent ou obligent la communication de renseignements pour des raisons de santé ou de sécurité. L’exposition des enfants et des jeunes à la violence conjugale entre parents et autres personnes s’occupant d’eux représente près de la moitié de tous les cas qui font l’objet d’une enquête ou d’un examen approfondi de la part des autorités chargées de la protection de l’enfance au CanadaNote de bas de page 9. En général, les professionnels et autres particuliers ont l’obligation, en vertu de la loi, de faire rapport aux autorités compétentes lorsqu’un enfant a besoin de protectionNote de bas de page 10.

Pour ces motifs :

Compte tenu des lois et des politiques en vigueur, les commissaires et ombuds fédéral, provinciaux et territoriaux et à la protection de la vie privée (les commissaires FPT) affirment collectivement que les lois canadiennes sur la protection de la vie privée autorisent généralement la divulgation de renseignements personnels s’il existe un risque grave pour la santé ou la sécurité d’une personne. Les gouvernements, les organisations et leur personnel doivent prendre les mesures nécessaires pour comprendre et évaluer les circonstances dans lesquelles ils peuvent communiquer des renseignements personnels afin de réduire ou d’éliminer les préjudices causés par la violence conjugale, sans pour autant exposer les personnes qui sont déjà en danger à un risque accru de préjudice.

En conséquence, les commissaires FPT demandent à leurs organisations et gouvernements respectifs d’élaborer des cadres de gouvernance respectueux de la vie privée assortis de politiques et de procédures concernant la communication de renseignements personnels dans les situations où il existe un risque grave pour la vie, la santé ou la sécurité d’une personne.

En particulier, nous demandons aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux de prendre les mesures suivantes en collaboration avec leur commissaire FPT :

  1. S’assurer que les organisations élaborent des politiques de protection de la vie privée entourant la communication autorisée de renseignements personnels dans les situations où il existe un risque pour la vie, la santé ou la sécurité d’une personne.
  2. Demander aux organisations compétentes de mener une campagne de sensibilisation du public sur les circonstances où il est permis de communiquer des renseignements personnels dans des situations présentant des risques pour la vie, la santé ou la sécurité.
  3. Élaborer des outils et des directives sensibles à la culture et tenant compte des traumatismes à l’intention des organisations qui sont au service des groupes marginalisés, racialisés ou vulnérables.
  4. Encourager la divulgation proactive de données relatives à la violence conjugale, y compris des statistiques, des tendances et des données et analyses raciales pertinentes, afin de souligner l’ampleur du problème et de contribuer à améliorer les stratégies futures de prévention de la violence conjugale. Lorsqu’il existe un risque raisonnable que la communication de ces données, seules ou combinées avec d’autres, permette d’identifier des personnes précises, il y a lieu de déterminer si la nécessité de les communiquer dans l’intérêt public l’emporte sur l’atteinte à la vie privée qui pourrait en résulterNote de bas de page 11.

Nous demandons également aux organisations publiques et privées et des secteurs de la santé et des services sociaux de prendre les mesures suivantes :

  1. Élaborer des politiques et des procédures internes visant à protéger les particuliers contre les préjudices liés à la violence conjugale, conformément aux règles et aux exigences légales, y compris des mesures de responsabilisation.
  2. Donner au personnel une formation obligatoire sur les politiques et procédures relatives à la communication de renseignements personnels visant à protéger la vie, la santé ou la sécurité.
  3. Faire preuve de transparence et informer d’emblée les personnes concernées de la possibilité que leurs renseignements personnels soient communiqués, à qui et dans quelles circonstances, dans des situations où leur vie, leur santé ou leur sécurité sont menacées.
  4. Veiller à ce que des mesures de confidentialité et de sécurité soient mises en place pour protéger les renseignements personnels dont elles ont la garde ou le contrôle, y compris des plans d’intervention et d’atténuation en cas d’atteinte à la vie privée.
  5. Suivre les principes de minimisation des données afin de ne communiquer que les renseignements personnels qui sont raisonnablement nécessaires. Si des renseignements non personnels peuvent servir aux mêmes fins, ces renseignements doivent être communiqués à la place.
  6. Envisager d’adopter une approche sensible à la culture et tenant compte des traumatismes pour aborder les questions liées à la santé ou à la sécurité avec les personnes touchées et leur famille, en particulier celles qui appartiennent à des groupes marginalisés, racialisés ou vulnérables.
  7. Tenir compte des expériences uniques des personnes et des communautés des Premières Nations, inuites et métisses et favoriser la réconciliation, notamment en respectant les principes autochtones de souveraineté des données.
  8. Documenter les cas où des renseignements personnels sont communiqués. Conserver les documents conformément à la loi, y compris certaines lois sur la protection de la vie privée.
  9. Divulguer de manière proactive les données relatives à la violence conjugale, y compris les statistiques, les tendances et les données et analyses raciales pertinentes, afin de souligner l’ampleur du problème et de contribuer à améliorer les stratégies futures de prévention de la violence conjugale. Le cas échéant, s’il existe un risque raisonnable que la publication de ces données, seules ou combinées avec d’autres, permette d’identifier des personnes précises, déterminer si la nécessité de communiquer ces renseignements dans l’intérêt public l’emporte clairement sur toute atteinte à la vie privée qui pourrait résulter de la divulgationNote de bas de page 12.
  10. Collaborer avec les commissaires FPT concernés pour élaborer des politiques et des procédures, des campagnes d’information, des programmes de formation et des lignes directrices pertinentes sur la communication de renseignements personnels à des fins de prévention de la violence conjugale dans des situations où il existe un risque pour la vie, la santé ou la sécurité d’une personne.

En tant que commissaires FPT, nous nous engageons à clarifier les communications qui sont autorisées pour protéger la vie, la santé ou la sécurité par les moyens suivants :

  1. Collaborer avec le gouvernement et les parties intéressées pour sensibiliser les professionnels, les personnes concernées et le public à la communication responsable de renseignements personnels afin de protéger les victimes ou les survivantes et leurs enfants dans les situations où il existe un risque pour la vie, la santé ou la sécurité d’une personne.
  2. Encourager les gouvernements et les institutions à faire preuve d’ouverture et de transparence en publiant de manière proactive dans l’intérêt public des données, y compris des tendances, des statistiques et des données et analyses raciales, qui pourraient améliorer les stratégies et les approches précises visant à lutter contre la violence conjugale.
  3. Collaborer afin d’établir des orientations et de fournir du soutien aux fins de la communication responsable de renseignements personnels en vertu de nos lois respectives sur la protection de la vie privée, afin de contribuer à prévenir la violence conjugale et d’autres formes de violence qui mettent en péril la vie, la santé ou la sécurité des personnes.
Signature du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada

Signature du IPC-ON

Signature de la CAI-QC

Signature du OIPC-NS

Signature du NB

Signature du Ombudsman du Manitoba

Signature du OIPC-BC

Signature du OIPC-PEI

Signature du OIPC-SK

Signature du OIPC-AB

Signature du OIPC-NL

Signature du OIPC-NT

Signature du OIPC-YK

Signature du OIPC-NU
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