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Article d'opinion

Le 8 septembre 2020

L’article d’opinion suivant du commissaire à la protection de la vie privée, Daniel Therrien, porte sur la vie privée dans le contexte de la pandémie, qui accélère la numérisation en cours et rend encore plus urgente l’obligation de moderniser nos lois. Il a été publié dans le Hill Times (en anglais).

Données et vie privée : une question de valeurs

Daniel Therrien
Commissaire à la protection de la vie privée du Canada

La pandémie actuelle fait ressortir l’importance des sciences, des données et de la technologie dans la gestion d’une crise de santé publique et de ses nombreuses répercussions sociales et économiques. Elle a aussi accéléré la numérisation de notre vie : pour nous protéger, nous exerçons désormais une plus grande partie de nos activités en ligne.

Récemment, dans le Hill Times, certains ont présenté la numérisation comme le moyen privilégié pour traverser la pandémie et en sortir. Des scientifiques spécialisés en santé réclament également qu’on ait davantage recours aux données pour soutenir les efforts de la santé publique et améliorer les soins.

Par ailleurs, le gouvernement fédéral cherche depuis quelque temps des moyens d’accroître la numérisation. Certaines de ses initiatives portent sur la prise de décisions fondées sur les données, le plus grand partage des données et leur plus grande accessibilité.

La technologie et les données ont été très utiles et elles seront sans doute des éléments importants de la reprise. Elles peuvent servir l’intérêt public.

En même temps, il est urgent de déterminer comment tirer avantage des données tout en respectant les valeurs démocratiques et les droits fondamentaux.

Les plateformes de vidéoconférence et de télémédecine nous permettent de travailler, de socialiser et de recevoir des services d’éducation et de santé en ligne, mais ces technologies posent aussi de nouveaux risques importants pour la vie privée. Par exemple, si la plateforme virtuelle utilisée en télémédecine fait intervenir une entreprise commerciale, il y a un risque de violation du secret professionnel entre le médecin et le patient. De même, les plateformes d’apprentissage en ligne peuvent recueillir des renseignements sensibles sur les difficultés d’apprentissage des élèves ou leur comportement.

Alors que nous nous tournons vers une intelligence artificielle tributaire des données pour améliorer la prise de décisions, nous devons réfléchir sérieusement à son incidence sur le droit à l’égalité et d’autres droits fondamentaux.

Le risque pour la protection de la vie privée et d’autres droits est amplifié du fait que la pandémie provoque une transformation rapide de la société et de l’économie, dans un contexte où nos lois n’offrent pas une protection efficace aux Canadiens.

D’après les résultats de sondages, environ 90 % des Canadiens ne croient pas que les nouvelles technologies respectent leur vie privée. Les Canadiens ont aujourd’hui besoin de recourir aux technologies numériques et veulent profiter de leurs avantages, mais ils souhaitent le faire en toute sécurité. Ils veulent participer à une société numérique et y évoluer à l’abri de la surveillance d’entreprises de technologie ou du gouvernement.

Dans ce contexte, il faut donc se poser la question suivante : comment profiter des avantages de la technologie tout en remédiant au manque de confiance des citoyens?

Les avantages que l’on peut tirer des données ne doivent pas être obtenus en ignorant la vie privée ou en la reléguant à un rôle secondaire, celui d’une bonne pratique qui peut trop facilement être mise de côté pour atteindre d’autres objectifs.

Au contraire, je suis convaincu que la protection de la vie privée et l’innovation suscitée par les nouvelles technologies ne sont pas des valeurs contradictoires et qu’elles peuvent coexister.

Une reprise fondée sur l’innovation sera durable uniquement si l’on protège bien les intérêts et les droits de tous les citoyens. Nos lois peuvent et doivent prendre en compte ces intérêts et ces droits.

Le Commissariat a proposé une approche pour la réforme de nos lois qui reconnaîtrait officiellement la protection de la vie privée en tant que droit de la personne fondamental, mais non absolu.

Les lois devraient autoriser l’utilisation des renseignements personnels dans l’intérêt public. Un traitement responsable des renseignements personnels peut servir l’intérêt public, par exemple en matière de santé et de croissance économique, et améliorer les politiques et les programmes publics.

On peut mettre en place un gouvernement ouvert tout en respectant la vie privée et en protégeant les renseignements personnels. À cette fin, il faut prendre en considération les avantages et les risques associés à la diffusion des ensembles de données publics, y compris les données agrégées. Il faut aussi porter une attention particulière aux données sensibles, par exemple les renseignements sur la santé et les données de géolocalisation, et à celles qui peuvent avoir une incidence sur les populations vulnérables.

Hélas, nos lois fédérales actuelles n’assurent pas un niveau de protection adapté à l’environnement numérique. Nous avons constaté trop souvent que des droits étaient bafoués dans la poursuite d’intérêts bien loin de l’intérêt public.

Le Canada tire de l’arrière, tandis que bon nombre de ses partenaires commerciaux ont passé ces dernières années à renforcer leurs lois de protection des renseignements personnels.

Le respect du droit à la vie privée ne se limite pas à une pratique exemplaire dont l’adoption serait laissée au bon vouloir des représentants des gouvernements ou des géants de la technologie. Il s’agit d’un véritable droit, dont l’exécution peut être exigée des compagnies et des gouvernements.

Nous avons besoin de lois qui permettent aux Canadiens de profiter des avantages de la technologie, dans l’intérêt public, tout en préservant leur droit à la vie privée. Le moment est venu de montrer aux Canadiens qu’ils peuvent avoir les deux à la fois.

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