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Protection des données en génomique à Terre-Neuve-et-Labrador et leçons pour les autres provinces et les territoires

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Allocution prononcée à la conférence We Are Connected: Access, Privacy, Security and Information Management

St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador)
Le 29 novembre 2016

Allocution de Patricia Kosseim
Avocate générale principale et directrice générale, Direction des services juridiques, des politiques, de la recherche et de l’analyse de la technologie

(Le texte prononcé fait foi)


Introduction

Je vous remercie, Donovan, de m’avoir invitée à participer aujourd’hui à la conférence We Are Connected, ici à St. John’s. En passant, je tiens à vous féliciter pour votre nomination au poste de Commissaire à l’accès à l’information et à la protection de la vie privée pour la province. C’est toujours un plaisir de venir ici. Terre-Neuve-et-Labrador demeure, à mon avis, la région la plus accueillante du monde.

Lors de ma première visite, il y a de cela 18 ans, j’étais enceinte d’environ huit mois. Je venais ici pour prononcer une allocution. Lucy MacDonald, du centre d’information sur la santé, m’attendait à l’aéroport à mon arrivée. J’ai été impressionnée par la chaleur de l’accueil de Lucy, que bon nombre d’entre vous connaissent peut-être. Au cours de ma carrière, j’ai parcouru le pays plusieurs fois pour prononcer des allocutions et je peux vous affirmer que Terre-Neuve-et-Labrador est la seule région où les gens viennent vous accueillir à l’aéroport. En fait, pour mon voyage actuel, j’ai reçu non pas une, mais deux offres généreuses à cet égard.

Votre province est particulièrement accueillante, je le répète, mais c’est aussi l’une des plus belles régions de notre grand pays. À l’été 2014, ma famille et moi avons passé nos vacances à faire de la randonnée pédestre dans le parc national du Gros-Morne. Je me rappelle surtout notre ascension des Tablelands. Cette randonnée a été très difficile, pas tant pour l’effort physique qu’elle exigeait, car il fallait contourner et escalader les énormes blocs et rochers. Le plus difficile a été le défi psychologique de se sentir si minuscule, perdu et désorienté dans la vaste immensité de cette couche de terre rouge feu – aussi appelée « âme profonde » de la Terre – qui est graduellement remontée à la surface sur une période d’un demi-milliard d’années. Sans guide et sur un sentier pas du tout balisé, nous sommes partis seuls. On nous avait simplement dit de « suivre la rivière ».

En terminant notre laborieuse ascension de la grande embouchure en forme de fer à cheval, nous avons enfin atteint le plateau désertique au sommet. J’ai alors compris pourquoi les guides avaient autant insisté pour que nous ne nous attardions pas là-haut. Ils nous avaient dit de prendre quelques photos et de redescendre aussitôt. J’ai été estomaquée non seulement par toute l’immensité des lieux, mais aussi par la difficulté de conserver notre sens de l’orientation. Sans balises, sans contrastes, sans paramètres et sans relief d’aucune sorte, j’ai compris que des randonneurs peuvent si facilement s’y perdre et qu’ils doivent parfois appeler les secours.

Pour la première fois, j’ai commencé à imaginer ce que nos pères fondateurs ont dû ressentir en s’aventurant sur ce territoire entièrement inexploré. Peut-être un peu comme certains chercheurs contemporains qui veulent inventer ou découvrir de nouvelles choses, sans frontières éthiques, législatives ou sociales, et sans personne à l’autre bout pour les accueillir ou leur indiquer quoi faire ou bien où aller ensuite. Comment peut-on laisser à ces innovateurs la liberté nécessaire pour errer, explorer et découvrir de grandes choses, tout en définissant les limites que nous ne souhaitons pas franchir en tant que société ou, au contraire, celles que nous devrions franchir? Ce défi se trouve au point d’interface de l’innovation et de l’éthique, du droit et de la société. Il me fascine depuis longtemps et vient appuyer la perspective dans laquelle je présente ces questions aujourd’hui.

Les habitants de Terre-Neuve-et-Labrador

Terre-Neuve-et-Labrador est connue pour sa convivialité et ses paysages époustouflants, mais elle est tout à fait unique sur d’autres plans. Appelée « mine d’or génétique », la province est l’une des rares communautés géographiques dont la population est issue d’un groupe relativement homogène de premiers habitants et d’un nombre limité d’immigrants. Plus de 80 % de la population descend des 20 000 à 30 000 colons irlandais et anglais qui sont arrivés ici dans les années 1700 et 1800 et qui se sont établis dans des villages de pêche isolés pour y rester. C’est pourquoi l’homogénéité génétique est élevée au sein de la population. D’ailleurs, certains traits sont devenus particulièrement marqués. Par exemple, le taux de certaines maladies est plus élevé ici qu’ailleurs, alors que d’autres problèmes de santé sont rares, voire inexistants. Tous ces aspects sont fort intéressants pour les chercheurs qui souhaitent venir ici pour étudier ces phénomènes uniques.

La collecte d’échantillons biologiques et de données connexes concernant une population distincte ou un sous-ensemble d’une population pourrait changer radicalement la façon dont nous prévenons, diagnostiquons et traitons les maladies. En regroupant et en analysant de vastes ensembles de données, les chercheurs pourraient être en mesure de déceler et de comprendre des tendances et des corrélations auparavant inconnues. En bout de ligne, ils pourraient améliorer la détection, la prévention, le diagnostic et le traitement des maladies, y compris élaborer des stratégies de traitement plus ciblées – le « Saint-Graal » de la médecine personnalisée.

Mais l’engouement scientifique pour les caractéristiques génétiques des habitants de Terre-Neuve-et-Labrador ne s’est pas manifesté sans coûts ni sans abus. Je me permets de citer un exemple tristement célèbre que l’on m’a récemment rappelé. Un groupe de chercheurs de l’Université Baylor – les Texas Vampires – est venu à Terre-Neuve-et-Labrador recueillir des échantillons biologiques, l’histoire des familles et les dossiers de patients. Les chercheurs ont rapporté tous ces éléments afin de mener des recherches génétiques sur une maladie du cœur mortelle dévastatrice dont l’incidence est supérieure à la normale chez les jeunes hommes de la région. Pourtant, lorsque le projet de l’Université Baylor a été connu, les chercheurs de la province ont eu beaucoup de mal à récupérer les données pertinentes sur leur propre population afin d’effectuer le suivi clinique nécessaire auprès des patients visés.

Ce n’est pas le seul exemple de chercheurs venus d’ailleurs qui se pointent dans la province pour y mener des recherches génétiques sans rendre de comptes à la population et qui refusent de remettre les échantillons prélevés ou les données connexes. Ces situations témoignent des tensions générées lorsque les intérêts commerciaux que suscitent les renseignements exclusifs ou des fortes pressions concurrentielles pour gagner la « course à la notoriété » commencent à s’infiltrer dans les activités de recherche.

La réponse législative

Fidèles à leur patrimoine, les habitants de Terre-Neuve-et-Labrador ont réagi avec courage et résilience. Ils se sont juré que cela n’arriverait « plus jamais ». Ces expériences négatives sont peut-être en partie à l’origine de l’élan qui a donné lieu à certaines innovations législatives par la suite. Dans un article que j’ai écrit en collaboration avec le professeur Daryl Pullman de l’Université Memorial et d’autres collègues, nous avons examiné le cadre de gouvernance législatif et éthique qui a depuis évolué à Terre-Neuve-et-Labrador pour assurer à l’avenir une protection contre de tels abus. Un régime unique en son genre a été instauré grâce à l’intégration d’une législation qui protège les renseignements personnels sur la santé et d’une loi sur l’éthique de la recherche qui a créé une autorité légitime, indépendante et responsable en matière d’éthique et de recherche et consacré les lignes directrices nationales à cet égard tout en préservant une certaine souplesse. Ce régime pourrait éventuellement servir de modèle ailleurs.

Daryl et moi avons utilisé comme étude de cas la base de données généalogiques de Terre-Neuve et l’infrastructure mise en place par l’ancien groupe de recherche sur la thérapeutique de l’Université Memorial. Nous avons alors rencontré un problème de consentement en apparence impossible à résoudre. Plus précisément, il s’agissait de déterminer si les chercheurs pouvaient alimenter la base de données au moyen d’arbres généalogiques construits par les intéressés et fournis de leur plein gré par des personnes souhaitant faire avancer la recherche, mais sans avoir d’abord obtenu le consentement des membres de la famille, dont bon nombre étaient morts depuis.

Même si notre article ne visait pas à tirer une conclusion résolument positive ou négative, nous avons illustré la façon dont Terre-Neuve-et-Labrador avait instauré le régime de gouvernance législatif et éthique probablement le plus intégré au Canada, qui permet de résoudre cette difficile question de consentement. Nous avons simulé l’analyse du point de vue d’un comité d’éthique de la recherche dûment constitué et désigné en vertu de la Loi et nous avons montré comment la Personal Health Information Act et la Health Research Ethics Authority Act garantissent un cadre décisionnel plus rigoureux et responsable. En outre, contrairement à certains textes de loi plus rudimentaires d’autres provinces ou de territoires, ces lois de Terre-Neuve-et-Labrador permettront de procéder à un examen plus souple et nuancé et de trouver un équilibre entre, d’une part, la protection des renseignements personnels et des intérêts généraux en matière de bien-être des membres des familles (vivants et morts) et, d’autre part, les avantages pour le public qui pourraient découler de la recherche.

Nouvelles formes de recherche dans le secteur privé

Or, même ce régime de gouvernance comporte des limites. Entre autres, il commence à perdre de sa force devant la recherche à des fins commerciales. Nous savons pourtant que le secteur privé est un important promoteur de la recherche en santé à Terre-Neuve-et-Labrador en raison du patrimoine génétique unique de ses habitants. En raison de leur but lucratif, ces entreprises souhaitent vivement être les premières à résoudre, ou du moins à atténuer certains problèmes de santé propres à la province et à commercialiser leurs découvertes s’y rapportant. Compte tenu des difficultés rencontrées dans la région, le formidable potentiel d’innovation et de développement économique n’est pas nécessairement malvenu, mais on ne devrait pas en tirer parti trop rapidement ou naïvement.

Sequence Bio est la toute dernière entreprise à avoir manifesté un intérêt commercial pour ce créneau. Cette entreprise fondée en 2013 prévoit de séquencer le génome de 100 000 habitants de Terre-Neuve-et-Labrador. Elle veut ainsi obtenir de l’information porteuse de changements et, à terme, améliorer la façon dont nous traitons les maladies et développons des médicaments. Parmi les partenaires de l’entreprise mentionnés sur son site Web, on compte la province de Terre-Neuve-et-Labrador, Genome Atlantic, BiotecCanada et l’Université Memorial.

Dans le secteur privé, les recherches menées par les entreprises pharmaceutiques et biotechnologiques ne constituent pas un phénomène nouveau. Ces entreprises manifestent depuis longtemps un vif intérêt pour l’accélération des découvertes et le lancement de nouveaux médicaments et appareils sur le marché. Elles doivent s’en remettre aux cliniciens locaux pour avoir accès aux patients et aux données les concernant ainsi qu’aux chercheurs universitaires pour bénéficier des infrastructures existantes et renforcer la crédibilité et l’acceptation des résultats de la recherche.

Ce qui est différent maintenant, c’est la nouvelle génération d’entreprises et de modèles d’affaires en ligne dont la taille, l’importance et l’indépendance ne cessent de croître. De plus en plus, ces entreprises en ligne sont en mesure d’exploiter unilatéralement de nouvelles sources de mégadonnées et de mener ailleurs la recherche en santé traditionnellement réalisée dans les établissements universitaires dont elles dépendaient par le passé. Google Health a pu prédire les éclosions d’influenza mieux que les Centres for Disease Control des États-Unis, uniquement à partir d’analyses de termes recherchés sur Internet, plutôt que de données cliniques. Il s’agit de l’un des premiers exemples de la puissance des mégadonnées (mais il s’est avéré que cet outil n’est pas totalement sans faille).

L’entreprise de tests génétiques 23andMe, qui offre ses services directement aux consommateurs, est un autre exemple. En date de 2015, cette entreprise désormais bien établie qui possède des bureaux au Canada avait recueilli plus de 850 000 échantillons de clients qui l’avaient payée pour faire séquencer leur ADN, soit pour des raisons de santé, pour des tests de paternité ou à des fins de généalogie. Le prix actuel de ces tests s’élève à 249 $CAN. Selon l’entreprise, 80 % de ces personnes (soit près de 700 000) ont consenti à ce que leur information génétique soit utilisée à des fins de recherche.

Pour replacer la situation dans son contexte, je précise que 23andMe détient probablement l’une des banques de données biologiques et génétiques les plus vastes dans le monde. Le contenu de cette banque dépasse certainement ce que les grandes biobanques du Canada, même collectivement, ont réussi à recueillir à ce jour. Le fait qu’une cofondatrice de 23andMe a été l’épouse d’un cofondateur de Google nous donne une certaine indication de la possibilité que ce type de modèles d’affaires en ligne progresse à une vitesse fulgurante.

23andMe est l’entreprise de tests génétiques offrant ses services directement aux consommateurs qui est la plus connue et probablement la plus importante. Mais une foule d’autres entreprises proposent toute une gamme de tests génétiques, y compris des tests liés à la santé et des tests de paternité. Certaines prétendent être en mesure de vous donner des précisions, par exemple sur les performances sportives de votre enfant. L’entreprise Instant Chemistry affirme même pouvoir utiliser l’ADN d’une personne pour trouver un partenaire qui serait compatible avec elle.

Les tests génétiques visant à retracer la généalogie d’une personne sont également très en demande. Par exemple, des entreprises comme Ancestry ont commencé à faire payer les utilisateurs qui fournissent leur ADN afin de connaître l’histoire de leur famille. Ancestry annonce : « Découvrez vos origines ethniques, des parents éloignés et même et même vos ancêtres avec Ancestry.DNA. L’entreprise a récemment vendu l’accès à sa base de données d’ADN à Calico, entreprise de biotechnologie soutenue par Google. Calico a l’intention d’examiner le profil génétique des personnes qui vivent longtemps.

Les entreprises de tests génétiques qui offrent leurs services directement aux consommateurs peuvent accumuler un plus grand nombre d’échantillons génétiques que les chercheurs universitaires ne peuvent espérer en recueillir un jour. En ayant recours à des allégations accrocheuses appuyées par de puissants services de marketing, elles peuvent établir un lien entre ces échantillons et des données extraites des plateformes de médias sociaux. Les entreprises peuvent aussi alimenter davantage ces résultats au moyen de termes de recherche et d’autres données obtenues sur Internet. En partenariat avec d’autres, elles peuvent combiner ces échantillons avec des données générées par les technologies de la santé numériques, les appareils intelligents à porter sur soi et les biocapteurs, ce qui accroît considérablement la taille, la portée et la sensibilité de leurs dépôts où les promoteurs de mégadonnées peuvent extraire de l’information.

Répercussions sur la vie privée

La plupart de ces faits passent inaperçus pour le consommateur qui souhaite simplement envoyer son échantillon de salive afin de connaître sa prédisposition à certaines maladies, de confirmer des liens de paternité, pour le plaisir ou par curiosité, ou bien d’en savoir davantage sur ses ancêtres (j’ai récemment vu des publicités faisant valoir qu’une trousse de test d’ADN serait un excellent cadeau des Fêtes pour l’être cher parce que « c’est ce qu’il y a à l’intérieur qui compte »!).

Dans le cadre de ses efforts d’éducation du public, le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, de concert avec les organismes analogues de la Colombie-Britannique, de l’Alberta et du Québec, a produit une fiche d’information qui sera publiée sous peu. Cette fiche informera les Canadiens de certaines questions liées à la protection de la vie privée qu’ils devraient envisager de poser avant de commander un test génétique en ligne directement auprès d’une entreprise.

En outre, le Commissariat a financé l’an dernier la production d’un documentaire vidéo réalisé par la professeure Julia Creet, de l’Université York, intitulé Data Mining the Deceased: The Ancestry and Business of Family. Le documentaire explore les droits de propriété, la protection de la vie privée et les répercussions sociales de l’offre commerciale combinant les données génétiques et l’histoire des familles. Il est devenu viral via les sites Web de tests génétiques et les plateformes de médias sociaux, qui comblent de grands vides laissés béants par les sources de recherche généalogique plus traditionnelles, comme les arbres généalogiques construits par les personnes elles-mêmes auxquels s’ajoutent les anciens registres des églises et dossiers de recensement et de musées.

Le documentaire vidéo sera diffusé à TVO le 1er février. D’ici là, vous pouvez en voir quelques extraits sur notre site Web. (Afficher les extraits vidéo.)

La LPRPDE et le défi du consentement

Les entreprises du secteur privé de Terre-Neuve-et-Labrador et d’ailleurs au Canada non visées par une loi provinciale essentiellement similaire sont assujetties à la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (ou la LPRPDE). C’est la loi fédérale sur la protection des renseignements personnels applicable au secteur privé au Canada. Contrairement au régime législatif et éthique souple et intégré de la Personal Health Information Act et de la Health Research Ethics Authority Act, la LPRPDE a été élaborée pour régir les transactions commerciales binaires plus traditionnelles, comme les transactions types entre les personnes et leur banque, leurs fournisseurs de services de télécommunication, leur compagnie d’assurance ou des commerces de détail. Ainsi, plus de 15 ans après l’adoption de la LPRPDE, il est plus difficile de l’appliquer dans un monde commercial virtuel où une nouvelle génération d’entreprises rivalisent toutes pour analyser et monétiser les mégadonnées.

D’abord, le principe du consentement est un mécanisme plus rudimentaire et plus rigide sous le régime de la LPRPDE. Afin de pouvoir recueillir, utiliser ou communiquer des renseignements personnels, les organisations sont tenues d’obtenir le consentement éclairé des intéressés, qui doivent donc comprendre la nature, l’objet et les répercussions de la collecte, de l’utilisation et de la communication de ces renseignements. Cela se traduit généralement par des politiques de confidentialité de plus de 20 pages qui refilent aux consommateurs la responsabilité de tous les renseignements et risques connus reposant auparavant sur les épaules des avocats de l’entreprise. La Loi autorise à titre exceptionnel le consentement implicite dans le cas des renseignements non sensibles, mais elle ne peut dépasser les attentes raisonnables d’une personne et ne s’appliquerait certainement pas aux renseignements génétiques. En l’absence de consentement, l’organisation qui souhaite recueillir, utiliser ou communiquer des renseignements personnels doit être visée par une exception explicite en matière de consentement en vertu de la Loi. Or, manifestement, aucune exception ne couvre ces nouvelles utilisations.

Les chercheurs utilisant les biobanques s’efforcent depuis des années d’obtenir un consentement valable pour inclure les données dans une plateforme de recherche, dont les fins futures ne peuvent être précisées au moment de la collecte. Aujourd’hui, des entreprises qui souhaitent se lancer dans l’analyse de mégadonnées pour trouver des corrélations encore inconnues permettant de déduire un comportement futur se trouvent dans une situation similaire. Et pourtant, contrairement aux chercheurs universitaires de Terre-Neuve-et-Labrador, elles ne disposent pas d’un cadre législatif et éthique souple et nuancé pour les aider à orienter et à étudier soigneusement les évaluations complexes des risques et des avantages devant les inconnues. Comment peut-on obtenir un consentement prospectif éclairé qui ne soit ni flou ni vaste au point d’être non valable?

De plus, dans le secteur public, les chercheurs universitaires du secteur public sont soumis à une évaluation éthique. Mais ce n’est pas le cas pour les organisations commerciales qui mènent des recherches sur les mégadonnées. L’annonce de l’étude de Facebook sur la « contagion émotionnelle » constitue un exemple éloquent de ce contraste. Dans le cadre de cette expérience sociale, Facebook a trafiqué le fil d’actualité de 689 000 utilisateurs en montrant davantage de nouvelles positives aux membres d’un groupe et davantage de nouvelles négatives à ceux d’un autre groupe. Elle a ensuite vérifié l’incidence sur l’humeur des utilisateurs en comptant le nombre de mots généralement positifs ou négatifs dans les messages qu’ils affichaient ultérieurement.

Facebook a travaillé à la conception de l’étude en collaboration avec des chercheurs de l’Université Cornell. Cependant, en théorie, l’université n’a pas participé à la recherche puisque Facebook a recueilli et analysé toutes les données sur les utilisateurs. L’étude a donc été exemptée des exigences de la Common Rule. De plus, lorsque la revue spécialisée a exigé aux fins de publication une attestation de l’obtention du consentement éclairé des participants, l’entreprise a répondu en citant les modalités générales de ses conditions d’utilisation.

Certains ont salué la transparence de Facebook à l’égard d’une pratique ne présentant pas plus de risque que les entreprises n’en créent chaque jour en expérimentant des services commerciaux nouveaux ou améliorés. Ils craignent qu’une attitude trop critique ne rende les entreprises comme Facebook moins enclines à collaborer avec les chercheurs universitaires. Si c’était le cas, leur transparence serait encore plus limitée et leurs données ne seraient plus accessibles pour faire progresser les connaissances qui peuvent être généralisées.

D’autres observateurs moins cléments se sont montrés très critiques à l’endroit de Facebook – ils avaient la chair de poule à l’idée que l’entreprise avait franchi la ligne entre l’observation et la manipulation (en faisant, pour ainsi dire, passer les gens du statut de sujets observés à celui de rats de laboratoire), sans aucune évaluation éthique externe indépendante. Une évaluation éthique indépendante aurait-elle aidé à mieux prévoir les répercussions sociales, éthiques et juridiques de cette expérience sociale?

Dans le contexte des mégadonnées, la possibilité d’explorer des données pour en tirer de nouvelles informations et corrélations est immense. D’ailleurs, de nombreux scientifiques des données et ingénieurs s’évertuent à trouver « comment » y arriver, mais personne ne pose de questions sur la « pertinence » de le faire. Si les comités d’éthique pour la recherche universitaire ne sont pas les ressources appropriées, alors qui l’est? Certains ont proposé de créer des comités d’éthique indépendants pour assurer la protection des consommateurs. Ces comités viseraient expressément à examiner les recherches commerciales. Mais, comme on peut l’imaginer, il reste encore beaucoup de questions sans réponse concernant la façon dont ces comités travailleraient dans la pratique. De plus, l’idée a été accueillie plutôt froidement par l’industrie.

En juin 2016, le Commissariat a publié un document de consultation sur ces contraintes et d’autres pressions exercées sur le modèle de consentement actuel sous le régime de la LPRPDE, à l’ère de l’analyse de mégadonnées et de l’Internet des objets.

En réponse à ce document, nous avons reçu 51 mémoires bien étayés. Nous consultons les intervenants partout au pays, notamment des entreprises, des avocats, des universitaires, des groupes de consommateurs et des membres de la société civile. Nous avons mené quatre consultations jusqu’à présent et nous en tiendrons une autre à Ottawa en décembre. Nous organiserons aussi des groupes de discussion composés de consommateurs dans tout le pays au début de la nouvelle année, afin de connaître l’opinion des Canadiens. Nous espérons être en mesure de rédiger et de publier un exposé de position à ce sujet en 2017.

Information génétique et assurance

Le défi du consentement ne s’arrête pas là. En grande partie, il s’agit de veiller à ce que les personnes soient bien conscientes des risques d’atteinte à la vie privée en fonction desquels elles peuvent faire leurs propres calculs et exercer un choix véritable, de sorte que le consentement soit donné en toute connaissance de cause. Cependant, il s’agit aussi parfois d’atténuer certains risques auxquels les personnes sont injustement exposées et qui peuvent les rendre si craintives qu’elles hésitent à accorder leur consentement, même à leur propre détriment ou à celui de leur famille ou de la société dans son ensemble. Songeons par exemple à la réticence de certaines personnes qui renoncent aux tests génétiques à des fins cliniques ou à des fins de recherche par crainte des mesures et des décisions que prendraient les compagnies d’assurance à partir des données ainsi obtenues.

Contrairement à de nombreux autres pays qui interdisent ou qui limitent considérablement l’utilisation d’information génétique par les compagnies d’assurance, le Canada n’a adopté aucune loi distincte à cet égard. Selon la politique en vigueur au sein de l’industrie, les compagnies d’assurance n’obligent pas les proposants à se soumettre à un test génétique. Toutefois, dans le cadre de l’évaluation des risques, elles peuvent leur demander de communiquer les résultats de tests génétiques réalisés dans un contexte clinique, pour les besoins d’une étude de recherche ou même dans un contexte commercial où le service est offert directement au consommateur.

La LPRPDE exige que les organisations recueillent uniquement les renseignements personnels « nécessaires » aux fins administratives précisées et qu’elles n’aillent pas au-delà de ce qu’une « personne raisonnable » estimerait acceptable dans les circonstances. S’appuyant sur les études commandées aux experts des sciences de l’économie et de l’actuariat spécialisés dans le domaine de la génomique, et d’après l’état de la science à ce moment, le Commissariat a conclu que la collecte de résultats de tests génétiques par les compagnies d’assurance n’est pas manifestement nécessaire, efficace ou proportionnelle et qu’il ne s’agit pas du moyen le moins envahissant pour atteindre les objectifs de l’industrie.

En 2014, le Commissariat a fait une déclaration publique exhortant l’industrie de l’assurance de personnes à s’abstenir volontairement et temporairement de demander accès aux résultats de tests génétiques déjà existants jusqu’à ce que l’on puisse montrer que ces résultats sont manifestement nécessaires à des fins actuarielles.

À la suite de cette déclaration, l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes a mis à jour son code de conduite. Elle a toutefois continué d’insister pour que les assureurs soient mis au courant de l’information importante et pertinente tirée des résultats de tests génétiques existants, afin de bien évaluer les risques. Dans le contexte de la recherche génétique, l’industrie de l’assurance a convenu de ne plus insister pour recevoir les résultats, uniquement si la personne concernée ne les reçoit pas non plus – partant du principe que les parties doivent avoir des connaissances égales dans un contrat de bonne foi.

Motivé par la crainte que les assureurs, les employeurs et d’autres puissent utiliser l’information génétique pour prendre des décisions discriminatoires concernant des personnes, le projet de loi S-201, Loi visant à interdire et à prévenir la discrimination génétique, a été déposé et adopté au Sénat. Ce projet de loi d’initiative parlementaire est actuellement à l’étude au sein du Comité de la justice de la Chambre des communes.

Le projet de loi S-201 propose d’interdire à quiconque d’obliger une personne à subir un test génétique ou à en communiquer les résultats comme condition requise pour lui fournir des biens et services ou pour conclure un contrat. S’il était promulgué, il interdirait effectivement à l’industrie de l’assurance de recueillir et d’utiliser les résultats de tests génétiques pour évaluer le risque. Il irait ainsi plus loin que le moratoire temporaire et volontaire que nous avons réclamé dans notre déclaration de principes.

Le sort du projet de loi demeure incertain, car le gouvernement a exprimé des inquiétudes concernant le fait qu’il pourrait sous sa forme actuelle faire ingérence dans un champ de compétence provincial – le secteur des assurances.

Plus tôt ce mois-ci, l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes s’est présentée devant le Comité de la Chambre pour discuter du projet de loi S-201, et peut-être dans le but de freiner toute forme de législation plus stricte. Elle a alors indiqué avoir eu des discussions préliminaires avec les provinces au sujet d’une éventuelle concession de l’industrie, selon laquelle les compagnies d’assurance cesseraient de recueillir ou d’utiliser les résultats de tests génétiques pour traiter les demandes d’assurance vie de moins de 250 000 $. D’après l’Association, pour plus de 85 % des demandes d’assurance vie, il ne serait pas nécessaire de communiquer les résultats de tests génétiques. Cette mesure apaiserait les préoccupations exprimées une forte majorité de Canadiens.

Conclusion

À de nombreux égards, ces difficultés et d’autres défis auxquels nous faisons face et que nous tentons de résoudre en ce qui a trait au consentement à la collecte, à l’utilisation et à la communication de renseignements personnels, si importants soient-ils, pourraient bientôt être réglés.

Certains prédisent le jour où les mégadonnées que nous recueillons aujourd’hui seront traitées par une intelligence artificielle si autonome et puissante que nos ordinateurs pourront en tirer des conclusions et des prédictions presque parfaites concernant nos risques et pronostics en matière de santé, le type de personne que nous sommes, nos intérêts et notre tempérament, et les décisions que nous sommes susceptibles de prendre. Essentiellement, les ordinateurs feront des calculs si exacts qu’ils nous connaîtront mieux que nous nous connaissons nous-mêmes. Il suffira de faire séquencer notre ADN, de porter des biocapteurs à longueur de journée, de laisser Google, Facebook et les autres géants d’Internet analyser notre comportement en ligne, nos courriels, nos clavardages, nos messages, nos « j’aime » et nos clics. Nous approcherons alors du jour où il ne nous appartiendra plus de partager l’Internet de tous les objets et les données nous concernant – tout autour de nous. Et si, d’ici là, la passerelle utilisée pour contrôler l’accès à ces nouvelles données n’est plus le consentement, quelle sera-t-elle?

À moins de concevoir et d’instaurer dès maintenant une gouvernance législative et éthique pour régir la collecte et l’utilisation des données dans ce nouveau territoire inexploré, nous risquons de perdre notre chemin dans cette grande immensité. Cette situation me rappelle la mise en garde faite par les guides avant notre ascension des Tablelands.

Bon nombre d’administrations publiques et de groupes de réflexion dans le monde s’efforcent de trouver une façon d’intégrer l’éthique dans les régimes de gouvernance en matière de protection de la vie privée. Jusqu’ici, ces régimes reposaient principalement sur des règles et des instruments législatifs rigides qui ne se prêtent pas facilement aux types de discussions et de processus décisionnels nuancés nécessaires pour tracer la voie à suivre.

Terre-Neuve-et-Labrador a fait preuve de courage en adoptant un cadre de gouvernance qui apporte une légitimité aux évaluations éthiques, qui renforce l’autorité des principes éthiques et qui intègre l’éthique dans les lois sur la protection des renseignements personnels. Ce type de courage est un exemple intéressant qui pourrait servir de modèle pour le type de cadre législatif et éthique rigoureux dont nous avons besoin pour mieux prendre position en vue de ce qui nous attend très bientôt.

Le prochain examen de la Personal Health Information Act arrivera probablement à point nommé pour vous donner l’occasion d’améliorer et de préciser votre position. Mais sachez que, par rapport aux autres régions, vous disposez déjà d’une assise extrêmement solide.

Je vous remercie.

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