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La commissaire à la vie privée dit « Non » aux caméras de surveillance de rues

Elaine Keenan Bengts, commissaire à l'information et à la vie privée des Territoires du Nord-Ouest, a publié ce qui suit le 20 juin 2001.

Yellowknife - Dans sa première décision en application de la Loi sur les renseignements personnels et les documents électroniques (LPRPDE), M. George Radwanski, commissaire fédéral à la vie privée, a fait savoir à une entreprise de sécurité de Yellowknife que l'installation de caméras de surveillance de rues était illégale.

Dans sa lettre de décision, datée du 15 juin 2001, le commissaire a examiné une plainte relative à l'installation par l'entreprise Centurion Security Services de caméras de surveillance à une intersection du centre-ville à Yellowknife. Le commissaire Radwanski a décidé que les images vidéos, en direct ou enregistrées, de personnes constituaient des « renseignements personnels » aux termes de la Loi et ne pouvaient donc être recueillis ni utilisés dans le cadre d'une activité commerciale sans obtenir le consentement éclairé des personnes filmées.

L'auteure de la plainte, Madame Elaine Keenan Bengts, commissaire à l'information et à la vie privée pour les Territoires du Nord-Ouest, indique qu'elle est ravie de la décision du commissaire Radwanski. Selon elle, la sécurité du public est importante, mais elle doit être en harmonie avec notre droit fondamental à la protection de notre vie privée.

Le commissaire Radwanski a reconnu dans sa décision qu'il pouvait dans certains cas être pertinent de surveiller des lieux publics pour des motifs de sécurité publique, mais que ce genre de surveillance devait être limité aux cas où le besoin en a été démontré. « Les gens ont droit d'exercer leurs activités sans avoir l'impression d'être systématiquement observés et surveillés. C'est là l'essence même de notre droit fondamental à notre vie privée, qui est un élément essentiel de notre liberté », a-t-il soutenu.

La LPRPDE est entrée en vigueur le 1er janvier 2001 et s'applique à toutes les activités commerciales des Territoires du Nord-Ouest.

Le commissaire Radwanski et ses collègues de partout au pays seront à Yellowknife en fin de semaine à l'occasion du Sommet annuel des commissaires canadiens à l'information et à la vie privée, organisé cette année par la commissaire à l'information et à la vie privée des Territoires du Nord-Ouest, Keenan Bengts.

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Pour tout renseignement additionnel : Elaine Keenan Bengts
Commissaire à l'information et à la vie privée des Territoires du Nord-Ouest
Téléphone : (867) 669-0976
Sans frais : 1-888-521-7088
Cellulaire : (867) 873-1179

(Veuillez noter que ce document a été traduit par le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada à l'intention des visiteurs se présentant à notre site Web.)


Le 15 juin 2001

Madame Elaine Keenan Bengts
Commissaire à l'information et à la vie privée
5018, 47e rue
C.P. 262
Yellowknife, T.N.-O., X1A 2N2

Madame la commissaire,

La présente lettre expose mes conclusions suite à la plainte que vous avez déposée contre Centurion Security Services Co. Ltd. (entreprise Centurion) aux termes de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques ( la Loi). Dans votre plainte, reçue à nos bureaux le 25 mai 2001, vous alléguiez que l'entreprise Centurion avait installé des caméras de surveillance pour détecter les mouvements et la voix des personnes circulant sur la rue principale de Yellowknife, et ce sans leur consentement. Vous croyiez que cette activité constituait une violation de la Loi.

En premier lieu, j'ai jugé que l'objet de votre plainte relevait de ma compétence en vertu de la Loi. L'article 30 exclut les renseignements personnels sur la santé et certaines organisations de la portée de la Loi jusqu'en 2002 et 2004, respectivement. Toutefois, en raison de l'application de la Constitution, toute entreprise commerciale dans les Territoires du Nord-Ouest constitue une entreprise fédérale. De ce fait, l'article 30 s'applique à l'entreprise Centurion depuis le 1er janvier 2001. Par conséquent, j'étais tenu aux termes de l'article 12 de la Loi d'accepter et d'examiner votre plainte.

Avant de vous faire part de mes conclusions, laissez-moi souligner d'abord les faits qui ont été obtenus dans le cadre de notre enquête. À l'origine, l'entreprise Centurion n'offrait que des services de serrurerie. Avec les années, l'entreprise s'est développée et a finalement été prise en charge par le fils du propriétaire, M. David Beckwith. Les activités de l'entreprise ont nécessité l'embauche de près de 30 employés et ont été orientées dans le secteur des systèmes de sécurité et de surveillance à domicile. L'entreprise a acheté des caméras pour les distribuer aux parents inquiets des agissements des gardiennes de leurs enfants; elle prévoit également offrir sous peu des chiens de garde aux entreprises commerciales. Actuellement, elle détient des contrats avec un hôpital local, la Banque canadienne impériale de commerce, certaines maisons à logements et une pharmacie située sur la rue principale de Yellowknife. Elle tente de mettre sur pied une agence privée d'enquête et de briguer des contrats auprès de ministères fédéraux. L'entreprise Centurion détient une licence d'exploitation de commerce telle que l'exige la Ville de Yellowknife.

Au cours de la première semaine de ce dernier mois de mai, l'entreprise Centurion a installé quatre caméras vidéos sur le toit de la pharmacie Sutherland au coin de l'avenue Franklin et de la 50e Rue à Yellowknife. Le propriétaire de la pharmacie est un client de l'entreprise et le bureau de celle-ci est situé au-dessus du magasin. Les images en direct captées par les quatre caméras étaient surveillées par le personnel de Centurion par l'entremise de deux terminaux de visualisation. Ces images n'ont pas été enregistrées sur bande vidéo ni audio. Les employés de Centurion ont indiqué que leur surveillance excluait le captage et l'enregistrement audio. Ces images en direct faisaient l'objet de surveillance par les employés de Centurion , 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. À plusieurs occasions, les employés ont remarqué des incidents et ont communiqué avec la police locale qui a effectué une enquête à cet effet.

L'entreprise Centurion croit qu'elle est la mieux positionnée pour fournir un service de contrôle de sécurité à la Ville de Yellowknife qui complémente celui déjà assuré localement par la GRC. L'entreprise croit que la surveillance vidéo profite avantageusement à toute la collectivité de Yellowknife et allègue qu'elle fait de son mieux pour que la Ville et la GRC participent à ce projet.

Au cours de ces dernières années, la Ville de Yellowknife et la GRC ont collaboré pour accroître la présence policière au cour du centre-ville en élaborant un programme intitulé « City Watch ». En avril 2001, l'entreprise Centurion écrit au maire de la ville pour lui indiquer qu'elle voulait améliorer le programme « City Watch », et a offert ses services pour agir à titre de « surveillant ». La Ville a refusé.

Ayant conclu que cette affaire relève de mon pouvoir d'enquête, je dois maintenant déterminer, en fonction des faits soulignés ci-dessus, si les renseignements obtenus par le biais de cette activité de surveillance constituent des renseignements personnels tels que définis au paragraphe 2 de la Loi.

L'article 2 définit les renseignements personnels comme étant tout « renseignement concernant un individu identifiable. ». Un employé de l'entreprise Centurion qui surveille les images captées en direct à partir des caméras vidéos de l'entreprise pourrait assurément par la suite, tel lors d'un alignement de police, identifier une personne et décrire ses activités et son comportement. À mon avis, ce sont là des renseignements personnels que le Parlement a voulu protéger dans le cadre de la Loi. Si le Parlement avait choisi d'exclure les renseignements non enregistrés de ce cadre législatif, il aurait défini les renseignements personnels comme dans la Loi sur la protection des renseignements personnels : des renseignements sur un individu identifiable, « quels que soient leur forme et leur support ».

Étant donné le but principal de l'entreprise Centurion lorsqu'elle a installé son matériel de surveillance vidéo était de surveiller les activités des gens, je dois conclure que les renseignements en question constituent des renseignements personnels aux fins de la Loi.

Je devais ensuite déterminer si ces renseignements personnels étaient recueillis, utilisés ou communiqués dans le cadre d'une activité commerciale au sens de l'article 4 de la Loi. L'entreprise Centurion exploite un commerce qui vend des services de sécurité aux clients. De son propre aveu, son activité de surveillance vidéo avait pour but de générer des affaires. Il s'ensuit, donc, que l'activité de surveillance vidéo de l'entreprise Centurion constituait une activité commerciale au sens de l'article 4 de la Loi.

Les renseignements recueillis, utilisés ou communiqués par l'entreprise Centurion l'étaient-ils sans consentement, contrevenant ainsi au principe 4.3 de l'annexe 1 de la Loi? Je conclus que tel était le cas. Le fait que les images étaient captées en direct et non enregistrées n'est pas pertinent. La Loi ne limite pas les renseignements personnels aux renseignements qui sont enregistrés. La preuve démontre que les personnes n'avaient pas donné leur consentement à la collecte. Comme preuve de leur collecte, je note le fait que les renseignements découlant de ces images ont été utilisées par l'entreprise Centurion pour prévenir la police d'activités suspectes captées par la caméra. Quoi qu'il en soit, la nature même d'une caméra est d'enregistrer. Qu'elle renferme un film à un moment donné ou qu'elle fonctionne bien ou non ne modifie pas, à mon avis, la nature de l'activité qui est entreprise.

Dans certains cas, il peut être approprié que des endroits publics fassent l'objet de surveillance pour des motifs de sécurité publique. Toutefois, il faut limiter ces cas à ceux où le besoin en est démontrable. Cette surveillance doit être effectuée uniquement par une autorité légitime et doit respecter toutes les mesures juridiques pertinentes en matière de protection de la vie privée. Il n'y a pas lieu que des entreprises privées se livrent dans notre société à une surveillance non autorisée de lieux publics à des fins commerciales. Les gens ont droit d'exercer leurs activités sans avoir l'impression d'être systématiquement observés et surveillés. C'est là l'essence même de notre droit fondamental à notre vie privée, qui est un élément essentiel de notre liberté. Par conséquent, je dois conclure que l'entreprise Centurion ne se conforme ni au principe 4.3 de l'annexe 1 ni au paragraphe 5(1) de la Loi.

Je conclus donc que votre plainte est bien fondée. Puisque les caméras avaient déjà été enlevées à la réception de votre plainte, je ne crois pas nécessaire de poursuivre la question plus avant pour le moment.

Néanmoins, le problème n'est pas encore entièrement résolu. L'entreprise Centurion a fait part à nos enquêteurs de son intention de continuer à vouloir fournir des services de surveillance vidéo à la collectivité de Yellowknife. Elle prévoit installer dans des endroits publics des caméras qui pourront effectuer des enregistrements vidéos et audios; elle a toutefois assuré nos enquêteurs que les bandes seraient entreposées de façon sécuritaire, avec un accès limité. Bien que cette pratique de sécurité soit correcte en soi, j'en ai déjà conclu qu'elle ne respectait pas les pratiques juridiques actuelles en matière de protection de la vie privée. J'informerai donc l'entreprise Centurion que son projet de surveillance vidéo publique à des fins commerciales est illégal et ne saurait être mis en pratique.

Voilà donc mes conclusions dans ce dossier. Si vous avez des questions ou des commentaires sur ces dernières, je vous invite à communiquer avec M. Gerald Neary, directeur général des Enquêtes et demandes de renseignements, au 1-800-282-1376.

Veuillez agréer, Madame la commissaire, l'assurance de ma considération distinguée.

George Radwanski
Commissaire à la protection de la vie privée du Canada

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