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Comparution devant le Comité permanent des finances de la Chambre des communes au sujet de l’examen législatif de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité (blanchiment d’argent) et le financement des activités terroristes (LRPCFAT)

Le 28 février 2018
Ottawa (Ontario)

Déclaration de Daniel Therrien,
Commissaire à la protection de la vie privée du Canada

(Le texte prononcé fait foi)


Introduction

Je remercie le président et les membres du Comité de m’offrir l’occasion de témoigner devant vous aujourd’hui dans le cadre de l’examen législatif de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité (blanchiment d’argent) et le financement des activités terroristes, ou LRPCFAT.

Bien entendu, nous appuyons les efforts du Canada pour lutter contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. Cependant, la manière d’y arriver doit assurer un juste équilibre entre la nécessité de lutter contre de telles activités et le respect du droit à la vie privée de la population canadienne.

Le Régime canadien de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes et la protection de la vie privée

La conséquence la plus marquée de ce régime c’est qu’il  permet de recueillir  une grande quantité de renseignements sur les opérations financières de Canadiens respectueux de la loi dans le but de mettre au jour les menaces à la sécurité nationale ou les incidents de blanchiment d’argent.

Dans des soumissions écrites au Parlement au sujet des projets de loi C-51 et C-59, nous avons déjà signalé nos préoccupations concernant les régimes pour la collecte et la communication de renseignements  en matière de sécurité nationale.

Plus précisément, nous avons insisté sur la nécessité d’établir des normes juridiques rigoureuses concernant la collecte et la communication de renseignements personnels, d’assurer une surveillance efficace et de réduire au minimum les risques d’atteinte à la vie privée des Canadiens qui respectent les lois, en partie grâce à des pratiques prudentes de conservation et de destruction des renseignements.

Résultats de nos examens du CANAFE

Comme vous le savez, conformément au paragraphe 72(2) de la LRPCFAT, le Commissariat a le mandat de procéder, tous les deux ans, à l’examen des mesures prises par le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE) en vue de protéger les renseignements qu’il reçoit ou recueille en application de cette loi. Nous pouvons également mener des examens en vertu de l’article 37 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Tous nos examens ont révélé des problèmes concernant la réception et la conservation de rapports par le CANAFE non conformes aux seuils de déclaration prévus par la loi.

En 2014, le projet de loi C-31 a modifié la LRPCFAT en y ajoutant le paragraphe 54(2), selon lequel le CANAFE doit détruire les renseignements en sa possession qui n’auraient pas dû lui être communiqués dans un rapport ou une déclaration (parce qu’ils n’étaient pas exigés par la loi) ainsi que des renseignements qui lui sont fournis volontairement par le public, lorsqu’il conclut qu’ils ne se rapportent pas à des soupçons de recyclage des produits de la criminalité ou au financement des activités terroristes.

Bien que CANAFE ait mis en œuvre des mesures pour valider les déclarations qui lui sont transmises, menant au rejet de milliers d’entre elles, nous continuons à trouver des renseignements dans les bases de données du CANAFE qui n’atteignent pas les seuils établis et qui n’auraient pas dû être conservés.

Nous avons recommandé des améliorations et le CANAFE a répondu qu’il continuera à mettre en œuvre des mesures de contrôle initial afin de réduire la quantité de renseignements personnels inutiles qu’il reçoit.

Par ailleurs, nous avons trouvé qu’en général, le CANAFE a une approche efficace en matière de sécurité, dont des mesures de contrôle pour protéger les renseignements personnels. Notre dernière vérification a toutefois soulevé des questions relatives à la gouvernance entre le CANAFE et Services partagés Canada, auxquelles le CANAFE s’est engagé à donner suite.

Proportionnalité

Au-delà des questions que nous sommes tenus d’examiner en vertu de la LRPCFAT, notre principale préoccupation, fondée sur nos examens du CANAFE au cours des dix dernières années, a trait au manque de proportionnalité du régime. La communication de renseignements aux entités chargées de l’application de la loi et à d’autres organismes d’enquête au cours d’un exercice financier donné représente un très petit nombre si on les compare à la quantité de renseignements reçus pendant cette même période. Les renseignements reçus sont également conservés pendant de longues périodes.

Dans son plus récent rapport annuel, le CANAFE a déclaré que sur les 24,7 millions de dossiers reçus au cours du dernier exercice, il y a eu seulement 2 015 communications exploitables, ce qui représente moins de 1 sur 10 000Note de bas de page 1.

La durée de conservation de dossiers n’ayant fait l’objet d’aucune divulgation par CANAFE est passé de 5 ans à 10 ans en 2007.

Même si l’on admet que le partage de données relatives aux transactions financières concernant des citoyens respectueux de la loi peut mener à l’identification de menaces de blanchiment d’argent ou de financement d’activités terroristes, une fois que ces renseignements sont analysés et qu’ils permettent de conclure qu’une personne ne pose pas de menace, ces données ne devraient plus être conservées.

De façon plus générale, nous avons remarqué une tendance à l’élargissement du régime au fil des ans. Tout récemment, cette tendance s’est confirmée  avec la publication de la vision du ministère des Finances Canada, qui tend vers l’adoption d’un système global de collecte de renseignements qui permettrait une plus grande analyse des données et un échange de renseignements accru. La possibilité d’abaisser les seuils de déclaration actuels, ce qui pourrait être fait par l’entremise du Règlement, a déjà été discuté. Dans le document de discussion, le ministère des Finances propose également d’augmenter le nombre d’entités déclarantes et de mettre en place un nouveau modèle pour l’engagement avec le secteur privé.

Améliorer la proportionnalité dans la collecte et la conservation des données : une approche fondée sur le risque

Bien que je reconnaisse qu’une approche globale à l’égard de la collecte et de la communication de renseignements puisse être utile pour déceler les menaces, ce qui est proposé ne ferait qu’exacerber davantage nos préoccupations à l’égard de la proportionnalité, à moins que des mesures de protection de la vie privée adéquates ne soient également mises en place. Je propose donc l’adoption d’une approche fondée sur le risque pour réduire le risque de recueillir et de conserver trop de renseignements personnels et financiers sur des personnes qui respectent la loi.

Dans le cadre d’une telle approche, le CANAFE, après une analyse approfondie de ses données fondée sur le risque, établirait des critères permettant de limiter la collecte, la communication et la conservation de données aux situations susceptibles de correspondre à des manifestations potentielles de financement d’activités terroristes ou de blanchiment d’argent. Nous comprenons que cela pourrait s’avérer difficile, mais en tant que spécialistes de la protection de la vie privée, nous pensons, au Commissariat, que nous pouvons jouer un rôle dans l’évaluation de ces facteurs.

Pour le moment, les examens que nous effectuons en vertu de la LRPCFAT et de la Loi sur la protection des renseignements personnels se limitent à s’assurer que les lois et règlements, y compris les seuils monétaires pour la collecte, sont respectés. Nous croyons qu’il serait plus utile pour nous de donner des conseils, après examen, sur les modifications qui pourraient être apportées aux lois, aux règlements ou aux pratiques du CANAFE pour garantir une plus grande proportionnalité, y compris l’évaluation des facteurs de risque qui pourraient permettre de régir la collecte, la communication et la conservation de l’information.

Le gouvernement recommande que la LRPCFAT soit modifiée pour que l’examen, que nous effectuons actuellement tous les deux ans en vertu de l’article 72, ait désormais lieu tous les quatre ans. Nous sommes en partie d’accord avec cette demande, et nous recommandons :

  1. que l’examen que nous effectuons en vertu de la LRPCFAT ait désormais pour but de fournir des conseils ou des recommandations sur la proportionnalité, comme nous venons de le mentionner;
  2. que l’examen commence au moins un an avant la date prévue de l’examen quinquennal devant être effectué par le Parlement.

Le Commissariat continuerait de mener des examens en vertu de l’article 37 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

En ce qui concerne la proportionnalité, le Comité voudra peut-être examiner la partie 4 du projet de loi C-59, qui porte sur les ensembles de données du SCRS et leur conservation, ce qui pourrait être instructif. Selon ce modèle, le SCRS doit filtrer rapidement les données (dans les 90 jours) et ne conserver les ensembles de données canadiens que si la Cour fédérale est convaincue qu'ils sont susceptibles de contribuer à l'exécution du mandat du SCRS, y compris la détection des menaces à la sécurité nationale.

Par ailleurs, concernant les modifications qui pourraient être apportées aux Règlements en ce qui a trait à la réduction des seuils actuels, ce qui aurait également une incidence sur la proportionnalité, je rappellerai la recommandation que j’ai formulée dans le cadre de la réforme de la Loi sur la protection des renseignements personnels, à savoir que les institutions fédérales  devraient être tenues par la loi de consulter le Commissariat avant de déposer des projets de loi et de règlement, comme celui en cause, ayant des répercussions sur la protection de la vie privée.

Combler des lacunes en matière de surveillance

En ce qui concerne l’examen et la surveillance du régime, je dirais que malgré les mécanismes d’examen déjà en place et ceux proposés dans le projet de loi C-59, il subsistera certaines lacunes en matière de surveillance.

Bien que certaines décisions fassent l’objet d’un contrôle législatif ou judiciaire par les tribunaux fédéraux, lorsque le CANAFE décide de divulguer des renseignements, il est plus probable que la décision soit contestée dans le contexte d’une procédure ultérieure, suite à  la communication de renseignements à un organisme d’enquête, comme un organisme responsable de l’application de la loi. Toutefois, dans bien des cas, lorsque le CANAFE divulgue de l’information sur une personne, la personne concernée n’apprendra peut-être jamais que la divulgation a eu lieu.

Le projet de loi C-59, s’il est adopté, permettrait de mettre sur pied un nouvel organisme d’examen formé de spécialistes : l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement (OSASNR), qui aurait la compétence nécessaire pour examiner les activités de tous les ministères et organismes jouant un rôle dans la sécurité nationale, y compris le CANAFE. Le nouveau Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement aura également pour mandat de produire des examens  sur le travail de ces organisations.

Cependant, l’OSASNR n'examinera pas toutes les activités de CANAFE, étant donné le mandat du CANAFE d'identifier la criminalité liée au blanchiment d'argent. Son examen de la sécurité nationale peut également être limité étant donné que ce ne sont pas toutes les divulgations de CANAFE qui sont faites au sein de la famille fédérale.

Comme nous l’avons déjà expliqué, le Commissariat joue un rôle important en vertu de son mandat en ce qui concerne la protection de la vie privée, et il peut offrir sa perspective en la matière, notamment en raison de ses dix ans d’expérience en vérification dans ce domaine. Toutefois, nous n’avons actuellement pas l’autorité statutaire de collaborer avec d’autres organismes d’examen en matière de sécurité nationale, comme le OSASNR, pour donner des conseils et assurer une surveillance efficace dans ce domaine. Il s’agit d’une observation que nous avons formulée dans le contexte du projet de loi C-59.

Conclusion et recommandations

Pour résumer, je ferais les recommandations suivantes :

  1. les examens que nous effectuons en vertu de la LRPCFAT devraient avoir pour but de formuler des conseils ou des recommandations sur la proportionnalité;
  2. ils devraient commencer au moins un an avant la date prévue des examens quinquennaux effectués par le Parlement;
  3. concernant les modifications qui pourraient être apportées aux Règlements, le ministère des Finances Canada devrait être tenu par la loi de consulter le Commissariat avant de déposer des projets de loi et de règlement ayant des répercussions sur la protection de la vie privée.

Je vous remercie de m’avoir invité à exprimer mon point de vue. Je répondrai volontiers à vos questions.

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